Pour aller au-delà des expressions imagées…
On raconte que lorsque le cosmonaute Gagarine revint de son premier voyage dans l’espace, le camarade Khrouchtchev lui demanda, goguenard, s’il avait vu Dieu. Voilà qui nous fait rire. Mais après tout, ne récitons-nous pas tous les dimanches que le Christ est « monté au ciel », et qu’il est « assis à la droite du Père » ? Certes, dira-t-on, mais il ne faut pas prendre cette phrase à la lettre. Le Christ ressuscité n’est pas assis sur un trône, posé sur un nuage, à la droite du trône de son Père qu’on imagine légèrement plus élevé que le sien… Il s’agit là d’une métaphore. Il est bien évident, pour commencer, que Dieu étant parfaitement immatériel, il n’est pas contenu dans l’espace. Il n’est pas plus dans l’espace que le chiffre 3 ou que les règles de la logique.
« Au-dessus de tous les cieux »
Tout cela veut dire que lorsque Jésus a quitté ses disciples, il n’est pas parti comme une fusée pour rejoindre des espaces intersidéraux. On peut aller aussi loin qu’on veut dans l’espace-temps, on n’y trouvera pas la divine salle du trône. Les expressions des écrivains sacrés sont d’ailleurs très précises: ils disent que Dieu habite « au-dessus de tous les cieux » (Eph. 4, 10). Ce qui ne signifie pas « dans un ciel très éloigné », mais dans une autre réalité que la réalité spatiale elle-même. Si donc Dieu est présent à notre réalité matérielle, ce n’est pas parce qu’il y serait contenu, mais parce qu’il la contient. « On dit que le trône de Dieu est dans le ciel, écrit saint Thomas d’Aquin, non pas comme contenu dans le ciel, mais bien comme contenant le ciel » (Somme théologique III, 57, 4 ad 1). Et il ne contient pas le Ciel comme une grande boîte en contient une plus petite. Si vous voulez une métaphore, on se tromperait moins en disant qu’Il contient le Ciel comme votre regard embrasse un paysage, ou comme votre affection contient toute une famille.
Symboles de la transcendance
Dès lors, quand on affirme que Jésus Christ est assis « à la droite » de Dieu, on ne saurait en déduire que Dieu le Père est assis à la gauche de son Fils ! De même que les cieux sont le symbole de la transcendance et non le lieu d’existence de Dieu –, de même, le côté droit est le symbole matériel de l’honneur, de la puissance et de la béatitude et non une indication littérale sur l’emplacement du Fils. Saint Augustin fait à ce propos une remarque amusante (De Symbolo, serm.1 chap. 4): « Si l’on entend dans un sens corporel que le Christ est assis à la droite du Père, celui-ci sera à la gauche du Christ. Mais, dans la béatitude éternelle, tout est à droite, car il n’y a aucune misère. » On déduira de ces quelques réflexions que l’Ascension de Jésus, quelle qu’en fût l’apparence matérielle aux yeux des apôtres (Mc 16, 19; Act 1, 9), ne consista pas pour Jésus en une fuite corporelle, mais en une disparition hors de notre monde visible. Il reste toutefois une difficulté : Jésus-Christ n’a pas cessé d’être humain ni donc d’avoir un corps après l’Ascension. Or, son corps ressuscité, aussi glorieux soit-il c’està-dire clair, agile, impassible et subtil – lisez là-dessus le Supplément de la Somme théologique ou écoutez Olivier Messiaen – a bel et bien une certaine matérialité, c’est-à-dire… une réalité spatiale !
Jésus-Christ n’a pas cessé d’être humain ni donc d’avoir un corps après l’Ascension
Même s’il n’est pas visible dans notre univers quadridimensionnel, il faut donc supposer une autre spatialité, déployée par le corps à jamais ressuscité du Sauveur. Les spéculations de la cosmologie moderne ne sont pas moins imaginatives, puisqu’elles font l’hypothèse de onze dimensions d’espace, « repliées » et invisibles dans notre Univers.
L’univers dans la main de Dieu
Sur ce mystère, toutes les visions et spéculations sont possibles : Hildegarde de Bingen (1098-1179), sainte et docteur, imaginait l’Univers entier tenant entre les bras du Christ, comme si notre espace était lui-même sous-tendu par un espace inconcevable et imperceptible pour nous. Pourquoi pas ? On peut même se figurer l’Univers tout entier tenu dans la main du Christ, comme dans le Salvator Mundi de Léonard de Vinci. Il est bien sûr impossible de trancher entre toutes ces visions, puisqu’il s’agit d’analogies symboliques sans prétention réaliste ; tout cela nous dépasse infiniment. Qui saura « la largeur, la longueur, la hauteur et la profondeur de Dieu » ? (Éph. 3, 18). Au terme de cette petite réflexion, une chose semble se dessiner : la bonne question n’est pas tant de savoir où est Jésus depuis l’Ascension, que de savoir où nous sommes, nous. Et la réponse, aussi métaphorique soit-elle, est très simple : dans Sa main.
Frédéric Guillaud