Alors que nous entrons dans le mois noir, miz du pour les Bretons, voici que nous renouons avec les rites de la Toussaint. Simple respect pour ceux qui nous ont quittés, visites et fleurs au cimetière, retrouvailles familiales, participation à l’eucharistie ou aux prières. Tout semble s’emmêler parfois, à moins qu’il ne faille chercher ailleurs pour mieux découvrir ce qui se vit réellement au moment de la Toussaint.
Un constat tout d’abord : l’Église n’y parvient pas ! Chaque année elle s’évertue à vouloir nous faire distinguer la fête de la Toussaint de celle des morts. Elle y met pourtant les moyens : deux jours distincts, deux célébrations et, en de multiples lieux. Rien n’y fait. La fête de la Toussaint, le 1er novembre, reste, chez nous, celle où sont nommés les morts de l’année, où l’on rejoint le cimetière, où le silence se fait tout naturellement devant les tombes, où le souvenir l’emporte sur tout.
Ferions-nous de la résistance ? Ne voudrions-nous pas comprendre ? Qui sait ? C’est ainsi et cela semble quasi immuable pour les plus anciens d’entre nous qui sont aussi les plus nombreux à honorer leurs morts de façon visible. Il en est sans doute un peu différemment pour les plus jeunes générations qui n’ont pas exactement le même rapport avec la disparition d’un être cher. « Je n’ai pas besoin d’aller au cimetière, je pense à eux pour autant. Je peux le faire un autre jour ! « peut-on entendre parfois, alors que d’autres, parmi nous, effectueront un pèlerinage vers les diverses tombes connues. Pour certains, ne pas le faire serait même de l’ordre de l’impensable, comme un affront que l’on ferait subir aux personnes que nous avons aimées. Ce n’est pas un jour ordinaire, il y a quelque chose qui doit dépasser les habitudes, qui nous reparle de nos racines, de nos histoires, des traces qui subsistent malgré tout.
Chaque année l’Église s'évertue à vouloir nous faire distinguer la fête de la Toussaint de celle des morts.
Dans leur livre « Sur la route des plus belles légendes celtes », Alan Stivell et Thierry Jolif écrivent : « La fête de tous les saints reflétait, jusqu’à une période assez récente, les conceptions archaïques des anciens celtes concernant la mort et la survie de l’âme. Dans l’antique calendrier des Celtes, le 1er novembre est considéré comme le début de l’année. »
En effet, nous restons pétris, sans en avoir pleinement conscience forcément, de tous ces anciens rites qui ont préoccupé l’homme depuis la préhistoire. La mort apparaît rapidement comme une fin certes, mais qui mérite toutefois qu’elle soit célébrée dignement par respect pour celui qui nous quitte et qui pourrait bien nous précéder dans un autre monde. Le rappeler à date fixe, au moment où nous allons devoir traverser des mois sombres, accentue ce désir de voir revenir au plus vite la lumière des beaux jours. Et si ce passage préfigurait une autre lumière, celle de la résurrection ?
Début novembre, au-delà de la mort que nous rappelons, c’est donc aussi une espérance qui pointe même s’il lui manque encore les mots pour s’affirmer totalement. Se recueillir devant une tombe, qui conserve au mieux quelques cendres, peut nous replonger dans ce mystère de toute l’humanité, ce « flou » ou cette incompréhension du grand passage, de notre propre Pâque.
C’est dans ce contexte que l’Église nous invite, avec tant d’insistance, à célébrer tout d’abord « Tous les saints ». Une pause sacralisée pour, avant toute chose sans doute, nous parler de la vie, de ce qui demeure, de ce qui n’est pas périssable. Voici alors que s’avance la cohorte innombrable de toutes ces femmes et de tous ces hommes qui, par leurs actions, leurs engagements, ont, parfois de façon radicale, tout misé sur une Parole, celle qui parle d’une Vie éternelle.
Belle occasion de retrouver, nous aussi, lors de cette fête de la Toussaint, tout ce qui nous parle de la vie quand nous faisons mémoire de nos défunts : des difficultés surmontées, de l’entraide, de la solidarité, du dépassement, du don, du pardon, … des petites graines à semer, dès à présent, pour le printemps prochain.