L’affirmation du livre de la Sagesse selon laquelle « Dieu n’a pas fait la mort (de l’homme) » est tellement contraire à notre expérience que nous peinons à la comprendre : on ne peut penser une vie humaine autrement que mortelle. Pourtant, cette affirmation n’est pas tombée au hasard. Elle fait écho au passage de la Genèse où, sous l’effet de la transgression suggérée par le Diable, l’homme se voit condamné à « mourir de mort » (2, 17).
Partager la vie divine
Ce que l’Écriture essaie de suggérer, c’est que notre condition a été bousculée par un accident de parcours mais qu’elle n’est pas perdue. Certes, nous sommes tirés de la matière inanimée où tout ce qui naît est condamné à disparaître, mais Dieu avait une autre idée pour nous : si petits et fragiles que nous soyons, il voulait nous élever à lui pour que nous partagions la vie divine et celle-ci transfigurerait nos corps comme nos âmes. C’est ce qu’il a voulu réaliser dès l’origine, mais la « jalousie du Diable » s’est mise en travers, avec le succès qu’on sait. C’est ainsi que la mort est « entrée dans le monde ». Mais ce ne sera pas le dernier mot.
La mort ne sera pas le dernier mot
Affirmer que nous avons été faits pour la vie et une vie heureuse qui durera toujours, c’est un changement complet de paradigme. Nous sommes habitués à ce que tout bonheur soit menacé et que le mal soit toujours mêlé au bien, car telle est notre situation présente.
D’où deux positions entre lesquelles se partagent les êtres qui nous entourent : la résignation ou la révolte. Dans le premier cas, on accepte la fatalité et on essaie de composer avec le mal et la souffrance qui sont inéluctables : avec les épicuriens, on profitera des éclaircies de bonheur qui se présentent, avec les stoïciens on essaiera de souffrir dignement, mais c’est la même résignation qui va dominer.
Dans l’autre cas : on n’acceptera pas la fatalité, soit qu’on espère la dominer par le progrès – des sciences des techniques, de la politique – et c’est le marxisme, soit qu’on se rebelle au risque de tout faire sauter, et c’est l’anarchisme.
Aucune des deux positions n’est vraiment crédible. Nous, chrétiens, nous avons une autre idée du futur qui bouscule les constructions humaines : nous ne croyons pas que le progrès va faire venir le Paradis sur terre. Mais nous refusons aussi de nous résigner à un monde sans justice et sans beauté.
Notre espérance ne s’accroche pas à des désirs qu’on prendrait pour des réalités. Car Dieu a commencé son œuvre et, à travers le Christ mort et ressuscité, il a profondément retourné les données de ce monde. Tout ce qui passe par la porte étroite de la Croix est déjà assuré de constituer une tête de pont de l’humanité nouvelle.
France-Catholique N°3864 -28 juin 2024
Père Michel Gitton
Le père Michel Gitton est prêtre du diocèse de Paris. Il est également le fondateur de la communauté Aïn Karem qui réunit des clercs, laïcs consacrés et des laïcs pour l'évangélisation.
(Publié dans France Catholique N°3823 1er septembre 2023)