Le récit de Matthieu est-il confirmé par les connaissances astronomiques modernes ?
On a l’habitude. Quand il s’agit des fêtes chrétiennes, les « experts » s’en donnent à cœur joie et expliquent doctement que tout cela n’est que pieuses légendes et figures littéraires. C’est presque une obligation depuis le XVIIIe siècle…
Il faut dire qu’avec l’Épiphanie, c’est du billard : qui peut croire à cette histoire d’étoile et de mages orientaux déguisés en mamamouchis, qui seraient venus se prosterner auprès d’un nourrisson après avoir fait un crochet par le palais du roi Hérode ? Légendes !
Face à cette ironie, le repli élastique n’est pas la bonne attitude. Ne bradez pas la vérité de l’Évangile en la troquant tout de suite contre la « force du symbole » et la « beauté poétique ». Bien sûr que c’est beau ! Bien sûr que cela signifie l’universalité de la Bonne Nouvelle ! Mais il se pourrait bien qu’en prime, ce soit parfaitement vrai. Il n’est absolument pas exclu, d’un pur point de vue historique, que le récit de Matthieu soit conforme à la réalité.
Conjonctions astrales
Il est établi par les cartes du ciel que de remarquables conjonctions astrales ont été observées à la fin du règne d’Hérode : en particulier le rapprochement, par trois fois, de Saturne et Jupiter dans la constellation des Poissons en l’an 7 avant notre
ère – année probable de la naissance de Jésus, puisqu’elle est compatible avec le recensement évoqué par saint Luc.
Or, ce genre de phénomènes – qui ne nous intéressent plus guère – ne passait pas inaperçu des astrologues de l’époque, qui y attachaient au contraire une importance extrême. Les Chaldéens, voisins de la Palestine, disposaient d’une caste de prêtres spécialement consacrés à l’observation du ciel, dont ils cherchaient à tirer la connaissance de l’avenir. L’attente anxieuse d’un Messie débordait en effet les frontières de la Judée, et agitait toute la région.
En l’occurrence, la « prophétie de Balaam » rapportée dans le livre des Nombres (24, 17) était dans beaucoup d’esprits : « Voici qu’une étoile sort de Jacob et qu’un sceptre s’élève du milieu d’Israël. »
Dans un tel contexte, il est parfaitement plausible que, constatant la très brillante et très rare conjonction de Jupiter et Saturne, une sorte d’ambassade babylonienne se soit enquise auprès de la cour d’Hérode de la prochaine naissance d’un Messie juif, capable de renverser les Romains.
Et parfaitement plausible aussi que les docteurs et les scribes juifs leur aient fait part de la prophétie de Michée (5, 1) qui annonçait cette naissance à Bethléem, village natal de David. Plausible encore que le roi Hérode, paranoïaque et dévoré d’angoisse à l’idée d’être renversé, ait envoyé ces mages à Bethléem en reconnaissance. Plausible enfin que le même Hérode ait décidé de faire assassiner tous les nouveaux-nés de Bethléem. C’est cohérent avec tout ce que l’on sait du personnage, qui fit notamment assassiner deux de ses fils et qui procédait en cas de besoin à de vastes massacres.
Les astrologues de Flavius Josèphe
Mais il y a mieux. Non seulement cette histoire est plausible, mais saint Matthieu n’est pas le seul à la raconter : l’historien juif du premier siècle, Flavius Josèphe – qui ne travaillait pas pour les chrétiens ! – rapporte un épisode très semblable dans la version slavonne de la Guerre des Juifs (découverte en 1905) : on y voit des astrologues venus de Perse attirer l’attention du roi Hérode sur la signification d’une étoile, qui apparaît et disparaît trois fois dans l’année, exactement comme l’astronomie le confirme pour la conjonction de -7, et annonce la naissance d’un Messie.
À la vue d’un tel texte, certains ont immédiatement affirmé qu’il s’agissait forcément d’un épisode ajouté au texte par un moine copiste facétieux. Mais ce n’est pas l’avis des spécialistes de Flavius : le texte n’évoque pas Jésus, ni encore moins un déplacement vers Bethléem, comme on l’attendrait s’il s’agissait d’une interpolation malhonnête.
Le plus probable est donc qu’un groupe d’astrologues babyloniens est venu à Jérusalem, sept ans avant notre ère, attiré par des phénomènes astronomiques correspondant à des prophéties messianiques, qu’il a été consulté par un Hérode au sommet de l’angoisse sur sa signification prophétique. Que ces mages se soient rendus à Bethléem, seul Matthieu le raconte. Mais pourquoi ne pas le croire ? Comme disait Tolkien, l’Évangile est beau comme le mythe, mais ce qu’il raconte est réellement arrivé : c’est le seul « mythe vrai ».
Charles Becquérieux