Le prophète Jérémie fait une expérience étrange : le Seigneur l’a « séduit », c’est-à-dire qu’il l’a amené à le connaître, à éprouver la douceur de son visage, il a été conquis par la splendeur de la révélation que le Seigneur lui a laissé entrevoir. Pourtant, quand il essaie de partager quelque chose de ces lumières et de se faire l’écho des exigences divines, non seulement on ne l’écoute pas, mais on se moque, et on lui en veut jusqu’à le menacer.
Va-t-il se taire et enfouir le message au fond de son âme ? Impossible ! Son cœur éclate : il faut qu’il transmette ce qu’il a reçu, malgré la haine, le soupçon, les coups.
Un message universel
Ce n’est pas ce qui risque d’arriver aujourd’hui, où l’on a pris son parti de l’éloignement de beaucoup et qu’on supporte très bien que les autres fassent ce qu’ils veulent pourvu qu’ils nous laissent tranquilles. Le prophète avait la conviction – juste – que le message reçu n’était pas pour lui seul, mais que c’était un appel pour tout Israël.
Transmettre ce que l’on a reçu, malgré les coups et la haine
La difficulté est peut-être encore plus grande, car toute invitation un peu forte est vécue aujourd’hui comme une intrusion insupportable dans le sanctuaire de la liberté individuelle. Un avertissement, une proposition, un nouvel éclairage s’attirent la riposte : « Laissez-moi penser ce que je veux ! » Comme si tout ce qui est « autre », qu’on n’a pas découvert soi-même, était forcément une menace. Triste horizon, où toute ouverture est bannie !
« La parole du Seigneur attire sur moi l’insulte » (Jr 20, 7-9)
Lecture du livre du prophète Jérémie
Seigneur, tu m’as séduit, et j’ai été séduit ;
tu m’as saisi, et tu as réussi.
À longueur de journée je suis exposé à la raillerie, tout le monde se moque de moi.
Chaque fois que j’ai à dire la parole, je dois crier, je dois proclamer :
« Violence et dévastation ! »
À longueur de journée, la parole du Seigneur attire sur moi l’insulte et la moquerie.
Je me disais : « Je ne penserai plus à lui, je ne parlerai plus en son nom. »
Mais elle était comme un feu brûlant dans mon cœur, elle était enfermée dans mes os.
Je m’épuisais à la maîtriser,
sans y réussir.
Éveiller les âmes
Mais ce n’est pas une raison de ne pas parler et même de le faire, selon le conseil de l’Apôtre, « à temps et à contretemps ». Devant l’enfermement généralisé, il est urgent, il est nécessaire d’éveiller les âmes et comment le ferait-on sinon par la parole, car elle seule peut faire passer ce que j’ai découvert, ce que j’ai éprouvé comme vrai, dans le cœur de mon frère et de ma sœur en humanité ?
La parole n’est pas une arme par laquelle je ferais irruption dans l’intimité de quelqu’un. Si elle était cela, c’est qu’elle ne serait déjà plus une parole humaine, ce serait un cri animal, ou la mélodie d’un charmeur de serpent.
La parole est le don de soi à l’autre, pour lui partager ce que nous avons à lui donner de nous-même. Quand c’est Dieu qu’on annonce, cela ne peut partir que de l’admiration qui nous a saisis, un jour, quand on a pressenti ce que peut être Celui qui nous a créés, et qui nous a accompagnés pas à pas sur le chemin, nous donnant un rôle à jouer dans son dessein d’amour.
Père Michel Gitton
Le père Michel Gitton est prêtre du diocèse de Paris. Il est également le fondateur de la communauté Aïn Karem qui réunit des clercs, laïcs consacrés et des laïcs pour l'évangélisation.
(Publié dans France Catholique N°3823 1er septembre 2023)