Le 11 novembre 1918, à Rethondes, est signé l’armistice qui met fin à la Grande Guerre. Le conflit a décimé une génération d’Européens, mais il a permis de populariser la sainteté d’une carmélite de Lisieux, Thérèse Martin, béatifiée en 1923. D’un mal, Dieu a fait surgir un bien.
Comme beaucoup d’églises de France, la chapelle Saint-Joseph des Carmes, à Paris, accueille une statue de la patronne secondaire de l’Hexagone, sainte Thérèse de l’Enfant-Jésus de la Sainte-Face, de son nom complet. Elle a pour écrin une chapelle dédiée entièrement à la patronne des Missions, conçue peu de temps après sa canonisation en 1925. Pour la décorer, explique Jean de Saint-Chéron dans son livre sur la petite Thérèse, les deux peintres et frères Paul et Amédée Buffet ont imaginé un cycle de sept scènes pour évoquer la vie de la sainte. La vie, mais aussi la postérité de la Lexovienne. Le dernier aplat montre ainsi Thérèse « en première ligne, à l’heure de l’assaut, dans les tranchées de 14 ».
Que vient donc faire la Grande Guerre dans ces représentations d’une jeune femme qui termina sa vie en 1897, au Carmel de Lisieux ? Et qui ne fut béatifiée qu’en 1923 avant d’être canonisée deux ans plus tard. Justement, la Première Guerre mondiale n’est peut-être pas étrangère à la rapidité des procès instruits par la Congrégation des Rites qui s’occupait alors des causes des saints. Car, s’il y eut bien une « star » dans les tranchées, ce fut la petite Thérèse. Dans les conduits boueux, la carmélite suscite, en effet, une espérance spirituelle « plus forte que l’acier ». L’expression est le titre d’un ouvrage qui reproduit de nombreuses lettres envoyées par les Poilus au Carmel de Lisieux. Des lettres que les soldats adressent à Thérèse elle-même ou à la Mère supérieure pour raconter les miracles accomplis par Dieu au milieu de l’horreur des combats, par l’intercession de la future sainte, à qui ils disent toute leur gratitude.
100 lettres de poilus chaque jour
Depuis 1898, la réputation de la jeune femme a dépassé les murs du cloître. Cette année-là, ses coreligionnaires publient Histoire d’une âme, qui reprend des écrits autobiographiques et qui sera un des livres les plus populaires du début du XXe siècle. Dès 1907, l’évêque de Bayeux permet la publication d’une prière pour la béatification de Thérèse Martin. C’est le début d’un vaste mouvement de prière à l’intercession de celle qui avait promis : « Après ma mort, je ferai tomber une pluie de roses sur la Terre ». Ainsi nombreux sont les Poilus qui arrivent au front avec une image voire des reliques de Thérèse dans leur musette. Et qui n’hésitent pas à l’invoquer quand la mort se rapproche, qu’ils soient Français, Allemands, Belges ou Anglais.
Jusqu’à cent lettres arrivent quotidiennement à Lisieux, et dès le 7 septembre 1914. Ceux qui « croyaient au ciel ou qui n’y croyaient pas [l’]ont convoquée pour qu’elle les accompagne au long des quatre années de combats qui s’apparentaient à l’enfer sur Terre. » Un soldat raconte comment la « petite fleur de Jésus » l’a protégé. Un autre explique qu’il l’a connue parce qu’une religieuse, à l’hôpital, l’a guéri en lui appliquant une relique sur sa blessure. Le suivant proclame qu’il est « fier de publier la bonté de Dieu et de sœur Thérèse pour un pauvre pécheur » après qu’il a eu une apparition de la carmélite sur le champ de bataille. Ailleurs, un Poilu écrit « Batterie sœur Thérèse de l’Enfant-Jésus » sur le canon qui lui est tombé dessus sans le blesser. Le bouche-à-oreille fait aussi son œuvre, et des soldats demandent par lettre à recevoir images et reliques pour être eux aussi protégés.
De touchants témoignages
Plus de 2000 dossiers ont été constitués à partir de ces lettres de Poilus. Le site des archives du Carmel de Lisieux permet d’en lire des extraits. Qui ne sera pas touché par de tels témoignages, demandes de prières et récits du front ? Un exemple, parmi tant d’autres, chez un marin, preuve de l’aura singulière de Thérèse : « C’est d’abord une protection d’une persistante bonté depuis que je la connais et m’adresse à elle. Je la sens proche de moi et de ma vie, m’aidant aux passes difficiles et me donnant toute confiance. Joignez à ces secours temporels une protection spirituelle qui m’attire à moins mal servir Dieu, et vous aurez une petite idée de l’aide fraternelle et combien permanente de la Sainte du Carmel […]. À présent, moi, le capitaine, un vieux loup de mer, je lui ai confié la direction de ma pauvre barque. » (Capitaine de Vaisseau de La Vaissière)
En 1916, une collection de lettres et des suppliques de soldats sont même envoyées au Vatican pour montrer la piété populaire qui entoure la future sainte. L’initiative revient à Pierre Mestre, militaire passé en garnison à Lisieux avant la guerre, qui écrit au pape Benoît XV le 24 juillet 1916 : « Vous avez bien voulu l’an dernier, Très Saint Père, autoriser la frappe d’une médaille à l’effigie de Sr Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Ste Face. La petite Carmélite de Lisieux est très en honneur parmi nous. Nous l’aimons, nous la vénérons, nous l’implorons. Combien, en effet, d’officiers et de soldats lui doivent depuis le début de la guerre actuelle, la grâce d’une bonne mort, d’une protection certaine sur le champ de bataille, du retour à la foi, d’une compréhension plus nette de la vie chrétienne ! » Ces suppliques, quelques dizaines venant de soldats puis des centaines de milliers de fidèles, permettent d’accélérer le procès instruit pour la béatification et de sauter une étape : nul besoin de prouver la réputation de sainteté dans le peuple de Dieu.
Des médailles et bien plus
Pour remercier la carmélite, les Poilus n’ont pas seulement envoyé des lettres. Ils ont aussi offert aux religieuses lexoviennes des bannières et des médailles, parfois encadrées. Elles se comptent par centaines mais ne sont pas les seuls ex voto. Maquettes d’avions, statuette de soldat, épaulettes, galons, badges, fourragères, rubans, insignes voire munitions et liens de parachute désormais conservés à Lisieux rappellent, encore aujourd’hui, le compagnonnage de Thérèse de l’Enfant-Jésus avec les hommes du front. Une « gentille sœur » à qui un sergent prisonnier en Allemagne « envoie son bonjour par Lisieux car, dit-il, le Carmel, le [s]ien, est bien l’antichambre du Paradis » !
Valdemar de Vaux
Publié le 10/11/24 par Aleteia