Les deux livres de Samuel donnent un extraordinaire aperçu sur la manière dont Dieu conduit les événements. Il y a de vrais acteurs : Samuel, Saül, David, Nathan, etc. Ce ne sont pas des figurants. Ils jouent leur rôle, plus ou moins bien, selon les moments, mais Dieu est là aussi qui s’engage dans les événements : tantôt il prend l’initiative, tantôt il laisse faire. Cette imbrication de la liberté humaine et de la liberté divine est impressionnante et forme le sujet majeur de tout ce récit.
Pour savoir ce que Dieu veut, on pourrait croire qu’il n’y a qu’à le consulter : par des prophètes – comme Samuel –, par un procédé oraculaire hérité des religions païennes, une sorte de jeu de pile ou face, où Dieu est censé répondre par oui ou par non, ou même par ce procédé maintes fois réprouvé qui consiste à consulter les âmes des défunts. Mais, plus il y a de moyens, moins est sûre la réponse. Et Dieu souvent se tait.
Dans la lecture de ce dimanche, David n’a pas le temps d’hésiter : il a la possibilité inespérée d’en finir avec son adversaire, le roi Saül, qui cherche sa perte. Celui-ci dort, David n’a qu’à commander pour qu’on lui tranche la tête. Son fidèle Abishaï lui montre que c’est cela qu’il faut faire, que c’est même la volonté de Dieu qui, de toute évidence, a permis cette incroyable opportunité. Et David dit non : « Ne le tue pas ! Qui pourrait demeurer impuni après avoir porté la main sur celui qui a reçu l’onction du Seigneur ? » Saül, même criminel, reste un personnage sacré qui a reçu l’onction du Seigneur. On ne peut pas y toucher. Si Dieu veut l’éliminer, ça sera par les mains des païens, pas par la sienne.
Quelle force, quel discernement surnaturel a-t-il fallu pour dépasser l’évidence première : qui n’aurait vu dans l’événement présent la main de Dieu et l’invitation à profiter de sa chance ?
Et David, bien sûr, a raison. Dieu n’a permis que les choses se passent ainsi que pour mettre à l’épreuve son élu, celui à qui il va confier les plus hautes responsabilités, jusqu’à faire de lui l’ancêtre du Messie. Et l’épreuve a été concluante. Pourtant rien n’était joué d’avance. David n’a pas été manipulé par Dieu. Il n’y a pas de fatalité.
Signes de la Providence ?
Discerner l’action de la Providence n’est pas une mince affaire. Nous sommes si prompts à voir des signes et des coïncidences, que nous interprétons souvent les faits dans le sens de nos intérêts et de nos désirs : « Je sais que c’est la femme de ma vie, me disait un jeune homme, parce que je l’ai rencontrée sur le quai de gare de Lourdes ! » Peut-être que oui, mais peut-être aussi que non, la suite le dira. Pour discerner les signes de Dieu – car il ne s’agit pas de les nier –, il faut souvent un certain recul et l’habitude des manières de faire de Dieu. Il faut l’avoir longtemps fréquenté dans la prière, avoir souvent accepté de ne pas comprendre et de dire malgré tout « que ta volonté soit faite ». Alors peut-être, par grâce, nous sera-t-il donné de voir des indices qui ne trompent pas et qui nous disent : « C’est le chemin, prends-le ! »
Dans le livre de Samuel : « Le Seigneur t’avait livré entre mes mains, mais je n’ai pas voulu porter la main sur le messie du Seigneur » (1 S 26, 2.7-9.12-13.22-23)
France Catholique N° 3757 – 18/02/2022