Jésus a pourtant pris ses précautions: après le succès rencontré lors de la multiplication des pains, il s’est mis à l’écart, redoutant que les foules ne l’« enlèvent pour faire de lui leur roi » (Jean 6, 15). Face à Pilate qui le somme de dire s’il est roi, il précise bien que sa royauté n’est pas « de ce monde » – ou « ne vient pas de ce monde ». Mais qu’il le veuille ou non, ce titre lui colle à la peau. Celui qui, en trois langues, sera inscrit sur la Croix, sur la pancarte portant le motif de sa condamnation. Jésus n’a pas cessé d’être fils appelé Fils de David, ce qui revient à souligner son extraction royale. Le mot même de « Messie » ou de « Christ » – « oint » – renvoie à l’onction royale.
Refuser à César le droit de diriger nos consciences
Or le titre de roi, par quelque bout qu’on le prenne, renvoie à la sphère politique. D’ailleurs, même si le Christ et ses disciples n’ont pas cherché à renverser le pouvoir en place, celui-ci s’est toujours senti menacé par eux. Pourquoi? D’abord, à cause d’un certain rapport à la vérité. À Pilate, il concède qu’il est roi, mais il précise aussitôt de quoi il s’agit: « Je suis venu dans le monde pour ceci, rendre témoignage à la vérité » (Jean 18, 37). Saint Jean, dans le passage de l’Apocalypse que nous entendons ce dimanche, le définit comme « témoin fidèle » (c’est-à-dire « véridique ») avant de le dire « souverain des rois de la terre ».
Nous n’avons pas à diaboliser la politique en prétendant qu’elle est nécessairement le domaine du mensonge. Il y a heureusement des chefs d’État et des hommes politiques honnêtes. Mais il faut reconnaître que la recherche et l’exercice du pouvoir sont de formidables tentations pour mettre entre parenthèses la vérité dans une recherche d’efficacité. C’est là que Jésus et ses succes[1]seurs sont apparus aux leaders politiques d’hier et d’aujourd’hui comme un danger potentiel, des alliés peu sûrs, sentant bien que pourrait surgir à tout moment un non possumus (« nous ne pouvons pas »): nous serons loyaux avec le pouvoir en place, mais il y a des concessions que nous ne sommes pas prêts à faire si l’on exige de prendre une distance avec nos principes.
Danger d’idolâtrie
Le domaine politique est le plus englobant de tous : des différentes instances dont dépend la vie des hommes sur terre, il est la plus élevée. Mais son importance comporte un danger spécial d’idolâtrie: il lui est très difficile d’accepter de ne pas être l’absolu, de ne pas tout régir. On le voit bien aujourd’hui où le politique soupçonne de « communautarisme » et ou de « complotisme » tout ce qui prétend mettre des limites à l’intervention de l’État dans la vie des Français.
Fêter le Christ-Roi, c’est remettre les choses à leur place : reconnaître les exigences du bien commun à tous les échelons et accepter de collaborer loyalement avec ceux qui exercent cette responsabilité. Mais il s’agit en même temps de refuser à César le droit de diriger nos consciences et de décider à notre place du bien et du mal.
Sur ce terrain, seuls le Christ et son Église sont les guides que nous voulons suivre. Seul le Christ est notre Roi et nous sommes prêts à verser notre sang pour lui rester fidèles.