Le spectacle offert dans les rues par les processions des rameaux, du Saint-Sacrement ou encore par celles des traditions populaires peuvent surprendre. Et des questions surgissent : pourquoi ces cortèges ? D’où viennent ces traditions ? Ont-elles encore un sens ? Quant aux processions qui se déploient pendant la messe, on peut se demander si elles n’encombrent pas inutilement les rites.
Croire avec ses pieds
Le père Joseph Gelineau aimait à dire qu’un chrétien ne croit pas seulement avec sa tête, mais aussi avec ses pieds. La formule peut surprendre, tant nous pensons la foi en terme de concept. La liturgie pourtant nous enseigne que c’est l’être tout entier, corps et intelligence, que la démarche croyante met en chemin. Avant d’être un discours sur Dieu, la liturgie est un chemin sur lequel Dieu nous rejoint ; les disciples d’Emmaüs nous en retracent l’expérience.
Dès lors, il n’y a pas à s’étonner que les processions tiennent autant de place, tant dans les rites liturgiques que dans la piété populaire. Et nous gagnerions à y réfléchir avant de les décrier comme des scories d’un passé révolu et de trop vite nous en passer.
Une pratique très ancienne pour aujourd’hui
Pratique ancestrale et universelle, la procession répond à un besoin profond de l’être humain, elle trouve ses modèles dans l’Écriture (Esd 14, 8-31 ; 2 S 6, 12-19 ; 1 Co 15, 25 ; 16, 3). On en constate l’apparition dans les communautés chrétiennes dès la fin du IVème siècle : conséquence de la paix constantinienne qui permet des manifestations extérieures du culte chrétien.
Pour l’Église, la procession est une réalité que la foi est appelée à saisir. Acte liturgique, elle est prière de l’Église, sanctifie des démarches humaines et exprime souvent un aspect du mystère du salut. L’Église, nouveau Peuple de la nouvelle Alliance marche à la suite de Jésus, vers le Royaume (Ap 7 et 21-22).
La procession chrétienne met le croyant en chemin ; elle l’inscrit tout entier sur un itinéraire de foi. Elle lui rappelle qu’il n’est jamais installé. À la suite d’Abraham, de Moïse et du peuple élu, du Christ et des Apôtres, il marche vers son accomplissement en Dieu.
La mémoire d’un évènement
Toutes les processions instituées par l’Église n’ont pas la même visée. Certaines évoquent des évènements du salut qui concernent le Christ : procession du 2 février, fête de la Présentation de Jésus au Temple ; procession des Rameaux qui rappelle l’entrée de Jésus à Jérusalem ; procession de la Vigile pascale qui fait mémoire du passage accompli par le Christ de la mort à la résurrection.
D’autres correspondent à une dévotion particulière procession de la fête du Saint-Sacrement (Fête-Dieu) qui exprime une action de grâce pour le don de l’eucharistie ; procession des Rogations qui demande la bénédiction de Dieu pour le travail des hommes ; procession au cimetière à l’occasion du 2 novembre.
Des rites liturgiques
Certaines processions sont prévues dans le cadre de la liturgie. Ainsi, dans la liturgie de la messe, la procession d’entrée, parce qu’elle traverse l’assemblée, en fait un peuple en marche à la rencontre de son Seigneur.
La procession du livre des Écritures exprime que la Parole vient, traverse et oriente l’assemblée vers un Dieu qui entre en conversation avec son peuple.
La procession des dons, s’avançant du fond de l’église, fait entrer l’assemblée dans le merveilleux échange de l’eucharistie : l’homme apporte à Dieu les dons qu’il a reçus de Lui (le pain et le vin) pour recevoir de Lui, à la communion, ce même don divinisé.
La procession rappelle que le pain nous est donné pour la route, que marcher ensemble réalise déjà la communion ; en outre elle offre un espace et un temps pour nous préparer à recevoir le Christ, don de Dieu. Quant à la procession de sortie, elle met le chrétien en marche vers le monde auquel la liturgie l’invite à porter la Bonne Nouvelle.
D’autres processions existent : pour la vénération de la croix, le vendredi saint ; aux fonts baptismaux à l’occasion des baptêmes ; pour bénir le corps lors des funérailles. Quant aux pèlerinages, la procession constitue une part importante de la démarche.
Procession et piété populaire
Les processions sont très liées à la piété populaire. Depuis le Moyen-Âge, les fidèles ont l’habitude, pour honorer les saints patrons, de porter en procession reliques, statues, bannières.
Ces processions, si elles sont authentiques, permettent aux chrétiens d’exprimer leur foi. Profondément enracinées dans la culture locale, elles contribuent à maintenir ou à réveiller le sentiment religieux des baptisés. Avant d’être un spectacle ou une parade folklorique, elles se doivent d’être un témoignage de foi dans un monde indifférent au message évangélique.
Des chemineaux de Dieu
Une procession vraiment chrétienne manifeste la nature de l’Église, peuple de Dieu qui chemine avec le Christ. Elle est orientée vers la célébration liturgique ou s’en nourrit. Elle est un chemin de solidarité où les fidèles, parce qu’ensemble ils ont marché, chanté, écouté la parole de Dieu, se découvrent solidaires les uns des autres et de ceux qui ne sont pas là.
Ces points de vigilance accomplis, la procession fait de chaque chrétien un pèlerin de la foi, un chemineau de Dieu.
Serge Kerrien
Diacre permanent du diocèse de Saint-Brieuc et Tréguier, au service national de la pastorale liturgique et sacramentelle