À quelle « étoile » se fier ?
Alors que tant de lumières trompeuses nous attirent, il est nécessaire d’apprendre à fixer son regard, sans relâche, sur l’Étoile qui conduit au Sauveur.
Bien des hommes de notre temps rêvent de devenir des « stars », ces étoiles de pacotille qui brillent un temps sur les scènes du monde et puis s’éclipsent et disparaissent pour de bon, dans l’indifférence générale et au terme de parcours souvent tragiques. Certaines de ces étoiles sont entourées d’un culte hystérique, mais la lumière qu’elles dégagent ne suffirait pas à éclairer une étable. Les autres, jaloux, ne veulent pas demeurer en reste, et toutes les professions, toutes les fonctions, désirent désormais couronner leurs « stars », le cuisinier comme le chef d’État, la Miss beauté comme la danseuse de ballet.
Bref, nous ne manquons guère d’étoiles en ce monde, selon, bien sûr, les critères de ce dernier. Nous étoufferions même plutôt sous le nombre. Les regarder toutes nous donnerait le tournis tellement elles avancent en groupes serrés, encore plus que les étoiles du firmament. Toutes ces étoiles, tant adulées par le monde, ne durent pas. Elles clignotent et s’arrêtent brusquement de briller, sans crier gare. Parfois, à leur disparition, surgit la supercherie et le mensonge qui les avaient ainsi hissées au pinacle. D’autres prennent leur succession car ce genre de places ne demeure jamais vacant très longtemps. Qui ne rêverait pas d’être, au moins pour un jour, un astre attirant à lui les regards ?
Vers le Créateur
Si nous levons les yeux et contemplons cette fois les étoiles épinglées dans le ciel par un Dieu orfèvre et patient, notre regard se perd aussi car la myriade nous étourdit. Nous ne pouvons pas même être sûrs que les étoiles qui nous attirent existent encore. Leur lumière leur survit pour parvenir jusqu’à nous et elle nous glisse entre les doigts, insaisissable et mystérieuse. Cependant, elles sont autant de signes qui terrassent les ténèbres les environnant. Saint Grégoire le Grand souligne qu’Israël ayant reçu les prophéties annonçant le Messie qu’il rejettera, des signes furent alors donnés aux nations païennes. Le premier d’entre eux est l’Étoile repérée par les Rois mages. Ce signe divin sera suffisant pour les pousser à partir en quête, la tête levée vers le ciel, sans souci des dites étoiles terrestres qu’ils croisèrent sans doute en chemin.
Même un Alphonse de Lamartine, au déisme généralement assez vague, se sent saisi par la compagnie des étoiles pouvant révéler la présence divine.
Même un Alphonse de Lamartine, au déisme généralement assez vague, se sent saisi par la compagnie des étoiles pouvant révéler la présence divine, ceci dans son poème Les étoiles :
« Et vous, brillantes sœurs ! étoiles, mes compagnes, / Qui du bleu firmament émaillez les campagnes, / Et cadençant vos pas à la lyre des cieux, / Nouez et dénouez vos chœurs harmonieux ! / Introduit sur vos pas dans la céleste chaîne, / Je suivrais dans l’azur l’instinct qui vous entraîne, / Vous guideriez mon œil dans ce brillant désert, / Labyrinthe de feux où le regard se perd ! / Vos rayons m’apprendraient à louer, à connaître / Celui que nous cherchons, que vous voyez peut-être ! / Et noyant dans son sein mes tremblantes clartés, / Je sentirais en lui.., tout ce que vous sentez ! »
Les étoiles le conduisent au Créateur, plus que toute autre chose dans l’univers. Lancinante fascination qui hante tous les poètes, y compris le jeune Arthur Rimbaud chant dans Illuminations : « J’ai tendu des cordes de clocher à clocher ; des guirlandes de fenêtre à fenêtre ; des chaînes d’or d’étoile à étoile et je danse », instant de répit au sein de ce qui le torture. Certes, ces étoiles sont encore celles de la dispersion et il est difficile aux poètes romantiques ou maudits de maîtriser leur regard en se fixant sur l’unique Étoile comme les Rois.
Des lumières trompeuses ou secondaires
Paul Claudel lui voit bien que cet astre déchire les ténèbres qu’il illumine lorsqu’il note dans Chant de l’Épiphanie : « Voici l’étoile qui s’arrête, et Marie avec son Dieu entre les bras qui célèbre ! / Il est trop tard maintenant pour savoir ce que c’est que les ténèbres ! / Il n’y a plus qu’à ouvrir les yeux et à regarder […]. » Alors que tant de signes trompeurs nous sont lancés en ce monde, il est nécessaire d’apprendre à fixer son regard, sans relâche, sur l’Étoile qui conduit au Sauveur. La tâche n’est pas facile car tout est fait pour distraire notre attention et la détourner vers des lumières trompeuses ou secondaires. Elle ne le fut pas plus pour les Rois qui, durant leur périple, se surprirent peut-être à plusieurs reprises à se croire arrivés à destination car le Malin trépignait et il ne manqua point de faire briller comme de l’or en fusion des astres morts. Ce n’est que par leur persévérance et le soin attaché à ne pas perdre de vue l’Étoile que les Rois purent enfin adorer l’Enfant dans les bras de la Mère. L’astre parfait qu’est le Christ en sa nativité repose entre les bras de la Stella matutina qu’est la Bienheureuse Vierge Marie.
Cette Étoile du Fils et de la Mère est unique, puisque Marie a porté Jésus en son sein. Le Tabernacle et l’Hostie sont inséparables, et les Rois vont d’ailleurs se prosterner devant les deux puisque l’Enfant est lové sur le cœur de Celle qui l’a enfanté, comme le rapporte fidèlement l’évangéliste saint Matthieu. Pour bénéficier de ce spectacle et de cette présence, il a fallu aux Rois bien des efforts de pérégrination. Leurs yeux ont dû rougir de fatigue à force de fixer l’Étoile qui les attirait vers la source de toute lumière. Bien de ceux qu’ils croisèrent les prirent pour des fous et des illuminés. Il leur fut reproché de perdre leur temps à courir après une étoile unique alors que tant d’autres brillaient dans le ciel.
L’Étoile est unique
Nous avons toujours du mal à comprendre ceux qui sacrifient tout pour la perle précieuse, pour le trésor inventé dans un coin de champ, alors que tant de plaisirs tendent les bras à ceux qui entrent dans la danse.
Le jésuite poète Gerard Manley Hopkins écrivit un somptueux Rosa mystica qu’il est impossible de citer ici dans son intégralité et dans son texte original, mais ces quelques vers suffisent à donner le goût de ce que les Rois ont ressenti lorsqu’ils furent saisis à jamais à Bethléem :
« “La Rose en son mystère” — où la trouver ? / Peut-on vraiment la voir ? Fleurit-elle en nos sols ? / Tout d’argile fut faite, mais s’effaça des yeux des hommes, / Et son lieu est secret, aux closeries du ciel, / Dans les Jardins de Dieu, dans la clarté divine / Prends-moi auprès de toi, Mère de moi. […] Marie est-elle cette Rose ? L’Arbre, Marie ? / Quant au Fleurir, et Fleurir-là, de qui procède-t-il ? / Elle Rose qui est-elle ? Ce ne peut en être qu’Un : / Christ Jésus, notre Seigneur — son Dieu et son Fils. / Dans les Jardins de Dieu, dans la clarté divine / Mère, montre-moi ton Fils, Mère de moi. […] Humer un doux parfum, aussi, en ce saint lieu ? / Douceur montant vers Dieu, et la douceur est grâce ; / Sa fleur dans les hauts baigne le ciel immense, / Grâce en elle qui est charité, grâce qui est amour. / Vers ton sein, ton repos, vers ta gloire divine / Par charité attire-moi, Mère de moi. »
Voilà l’Étoile en laquelle nous pouvons nous fier et nous ne pourrons pas la trouver dans la masse désordonnée des « stars » qui peuplent le monde et qui sont idolâtrées par lui.
L’Étoile n’est pas suspendue sous les projecteurs des scènes et en couverture des magazines : elle étincelle dans les ténèbres qui continuent de l’environner, cherchant à éteindre son éclat. Le Malin a horreur de ses rayons qui lui font de l’ombre et il essaie par tous les moyens de l’étouffer, mais elle demeure imperturbable, seulement visible à ceux qui, humblement, la cherchent du regard et s’y accrochent à tout jamais.
Père Jean-François Thomas, sj – Publié le 16/01/21