Quatre cents ans après sa mort, saint François de Sales (1567-1622), fêté le 24 janvier, demeure d’une surprenante actualité : Docteur de l’Église, fondateur de l’ordre de la Visitation, patron des journalistes, il reste indispensable pour une authentique vie chrétienne dans une époque de bouleversements.
Quels sont les grands traits de sa spiritualité ? Réponse avec le chanoine Paul-Antoine Lefevre, de l’Institut du Christ-Roi Souverain Prêtre, de spiritualité salésienne.
Une pédagogie hors pair
Saint François de Sales faisait preuve d’une prodigieuse et très fine pénétration psychologique qui lui permettait de développer des analyses très profondes et ajustées. Ses analyses conduisent sur un chemin de sainteté, exigeant certes, mais simple et accessible. Sa pédagogie présente un abord encourageant, aimable et optimiste. Il s’exprime simplement et ne rentre pas dans la technicité du vocabulaire de la théologie, afin de rester accessible à tous. Pour ceux qui sont gênés par son style du XVIIe siècle, ils peuvent le découvrir dans des ouvrages de vulgarisation. Sans compter que son Introduction à la vie dévote a été retranscrite en français contemporain. Cet ouvrage est un grand classique, qui aborde une grande variété de sujets, structuré en petits chapitres, que tous les catholiques peuvent lire. On y trouve forcément des sujets qui peuvent nous être utiles : tristesse, troubles, inquiétudes, sécheresses et consolations spirituelles…
Une école de sainteté abordable
Saint François de Sales présente un grand sens de l’équilibre. Son école de sainteté n’est pas celle, très verticale, des grands ordres contemplatifs. Pour le commun des mortels que nous sommes, il faut des moyens plus progressifs, à notre portée : ses propos sont toujours bien mesurés pour répondre à chaque condition de vie.
Exigeant, mais simple et accessible
L’évêque de Genève ne s’adresse pas aux seuls religieux, car il a une profonde confiance en la grandeur de l’amour divin qui vient nous chercher tous. Il met l’accent sur les petites vertus que l’on peut pratiquer chaque jour facilement : simplicité, humilité, bonté, mortification du cœur, esprit de pauvreté, chasteté… Saint François de Sales enseigne que l’on ne mesure notre amour de Dieu que par notre amour du prochain.
Pratiquer facilement les petites vertus
Le saint évêque est très respectueux des voies du Saint-Esprit : il prescrit rarement de manière directive, car il ne veut pas mettre les personnes dans des carcans. Il est exigeant, souple et doux et se met à l’écoute de l’Esprit Saint – premier directeur des âmes – pour savoir comment procéder avec telle ou telle âme, afin de se mettre par la suite dans son sillon. Par exemple, avec Jeanne de Chantal, les directives plus précises sont venues plus tardivement : il a d’abord observé pour voir comment l’Esprit Saint voulait diriger cette âme.
La confiance en Dieu
Cette doctrine est le cœur de sa spiritualité. Elle est liée à la « sainte indifférence ». Tout est centré sur la confiance en Dieu : quand on a confiance en lui, on peut s’abandonner comme un enfant dans les bras de la Divine Providence. François de Sales dit qu’il faut obéir à la sainte volonté divine, qui se manifeste de deux manières, selon lui.
Il évoque en premier la volonté de Dieu « signifiée » : elle est transmise à travers les dix commandements, les saintes lois de l’Église, les inspirations intérieures, les directives des supérieurs quand on en a, ou de son directeur spirituel.
Il évoque deuxièmement le « bon plaisir divin », qui se manifeste par les événements de notre vie, heureux ou malheureux, en dehors de notre volonté et de notre prévoyance, et envers lesquels il nous faut pratiquer le « saint abandon ».
La mystique pour tous
François de Sales s’inscrit dans le courant spirituel de la « devotio moderna », dont le grand livre est L’Imitation de Jésus-Christ, de Thomas A. Kempis. Ce courant remet l’accent sur une vie d’oraison non pas très intellectuelle, mais plus affective et plus simple. Son objectif : une mystique à la portée de tous les fidèles.
L’amour avant tout
Sa spiritualité est d’abord celle de la charité. « Il faut tout faire par amour, et rien par force », écrit-il à Jeanne de Chantal au début de sa direction spirituelle. « Tout est à l’amour, en l’amour, pour l’amour, dans la sainte Église », écrit-il dans sa préface du Traité de l’amour de Dieu. Il développe, au chapitre X : « L’homme est la perfection de l’univers, l’esprit est la perfection de l’homme, l’amour celle de l’esprit, et la charité celle de l’amour. C’est pourquoi l’amour de Dieu est la fin et la perfection et l’excellence de l’univers. »
La vérité dans la charité
C’est un de ses principes de vie. Toute vérité n’est pas à dire mais si on choisit de dire une vérité, cela doit toujours être fait dans la charité. À l’inverse, la charité ne doit jamais non plus oublier la vérité et ses exigences : on ne peut pas se dispenser de la loi divine. Ainsi, il n’y a aucun relativisme dans ses écrits qui sont toujours empreints d’une parfaite charité.
Précurseur du sacré-cœur
Saint François de Sales nourrit une profonde dévotion pour le Sacré-Cœur, bien avant les apparitions de Paray-le-Monial, au XVIIe siècle. « Que ce Seigneur est bon ma chère fille, que son cœur est aimable. Demeurons là en ce saint domicile. Que ce cœur vive toujours en nos cœurs, que ce sang bouillonne toujours dans les veines de nos âmes », écrit-il à Jeanne de Chantal, en 1610.
Une profonde dévotion pour le Sacré-Cœur
Et dès la fondation de l’ordre de la Visitation, la même année, il introduit la dévotion au Sacré-Cœur : « Notre congrégation est un ouvrage des cœurs de Jésus et de Marie », écrit-il encore à cette chère amie, en 1611. C’est dans un de leurs monastères, la Visitation de Paray-le-Monial, que sainte Marguerite-Marie Alacoque, religieuse visitandine, recevra les apparitions du Sacré-Cœur, soixante ans plus tard, en 1673, elle qui aura été formée à cette dévotion, à l’école de François de Sales.
Un modèle d’évêque et de missionnaire
Quand François de Sales devient évêque de Genève, la ville est à cette époque la « Rome des calvinistes » et le siège de l’évêché a donc été déplacé à Annecy. Il était déjà présent dans le Chablais calviniste, en Savoie, depuis plusieurs années, après s’être porté volontaire pour y être missionnaire. Secondé par quatre prêtres qu’il forme selon sa méthode, il obtient de nombreuses conversions. Saint François correspond parfaitement au modèle d’évêque voulu par le concile de Trente (1542-1563), qui se clôt quatre ans avant sa naissance.
Il réforme avec douceur et fermeté
Héritier de ce renouveau ecclésial, le saint prélat a un grand souci de mettre en œuvre les réformes du concile dans son diocèse : il met en place la réforme du clergé et des religieux, demandée par le concile, en procédant avec douceur et fermeté. Il n’oublie pas de s’appliquer à lui-même les règles de ce concile pour les évêques, leur demandant de rester dans leurs diocèses, pour se consacrer aux âmes qui leur sont confiées. Il ne quitte donc pas son diocèse, sauf en cas de grande nécessité, ce qui explique aussi le nombre de ses lettres à ses dirigés. Saint François de Sales se considère comme marié à son diocèse. Dans cet esprit, il donne très souvent lui-même les sacrements et se rend disponible et accessible à ses fidèles, pour leur donner des conseils.
Un excellent prédicateur
Parmi les recommandations du concile, les évêques sont rappelés à leur devoir de prédication, ainsi qu’il l’écrit lui-même à Mgr Frémiot: « Vous devez en toute façon prendre résolution de prêcher votre peuple. Le concile de Trente […] a déterminé que le premier et principal office de l’évêque est de prêcher. » S’appliquant à vivre ce devoir d’état, François de Sales a été particulièrement excellent dans l’art de la prédication, dans lequel jaillit sa sainteté. Sa prédication repose sur sa charité et sur son intelligence, nourries par l’oraison. Sur la forme, elle est empreinte de poésie, notamment grâce à son utilisation de nombreuses images de la nature. Saint François de Sales captive ses auditeurs par sa prestance naturelle, ses mots profonds et sa grande logique. Tout cela lui permet d’obtenir de nombreuses conversions, notamment de protestants, très nombreux dans son diocèse.
Emilie Pourbaix
Journaliste à France Catholique