Après tant d’années passées dans l’ombre, saint Thomas d’Aquin (1225-1274) attendait humblement son entrée dans un triple jubilé: les 700 ans de sa canonisation cette année, les 750 ans de sa mort en 2024, les 800 ans de sa naissance en 2025.
Saint Thomas a réalisé le premier traité complet sur les vertus, offrant à l’Église un outil prodigieux de connaissance de l’âme. Entretien avec Aude Dugast, philosophe.
Qu’est-ce que la vertu ?
Aude Dugast : C’est une « disposition habituelle et ferme à faire le bien » (CEC 1803). Il y en a deux catégories : les vertus théologales, qui sont infusées par la grâce de Dieu, en particulier au baptême. Les vertus cardinales, que l’on appelle aussi vertus morales. Auxquelles on peut ajouter les vertus mineures, qui en découlent.
Les vertus théologales disposent le chrétien à vivre en relation avec Dieu. Les vertus morales sont « les attitudes fermes, les dispositions stables, les perfections habituelles de l’intelligence et de la volonté qui règlent nos actes, ordonnent nos passions et guident notre conduite selon la raison et la foi » (CEC 1834). Elles procurent facilité, maîtrise et joie. Elles sont inscrites dans notre nature mais le péché originel nous empêche de les vivre pleinement.
En quoi les vertus sont-elles un chemin de bonheur ?
Nous avons été créés pour le bonheur – la Béatitude éternelle – et sur ce chemin vers le bonheur, nous avons besoin d’être guidés car, parfois, nous partons dans la mauvaise direction ou abandonnons le chemin par faiblesse. Les vertus nous aident à éviter les pièges et à trouver la bonne direction, en choisissant le bien, et à nous relever de nos chutes.
Les vertus :
- Théologales : foi, espérance, charité.
- Cardinales : force, justice, prudence, tempérance.
- Mineures : humilité, pauvreté, chasteté, obéissance.
Pourquoi Thomas d’Aquin dit-il que « le bonheur de l’homme est indissociable de la recherche de la vérité » ?
Pour que l’homme parvienne au bonheur complet propre à sa nature, il faut que son intelligence parvienne à l’épanouissement de ce pour quoi elle est faite : l’adhésion à la vérité. L’homme ne peut être heureux s’il s’écarte de la vérité. Et les vertus conduisent justement sur ce chemin de la vérité car elles ont comme sujet ce qui est raisonnable : la vertu n’est jamais irrationnelle. Voilà pourquoi elle est la clé du bonheur. La vertu est entre l’excès et le manque, c’est la mesure. Saint Thomas décrit cela très bien. Par exemple être charitable ne signifie pas donner de façon inconsidérée. Comme « nous ne pouvons pas venir en aide à tous » et comme « la vertu ne nous incline pas à l’impossible » nous ne pouvons pas faire du bien à tous les hommes. Il faut « tenir compte du temps et du lieu car tout acte vertueux doit toujours rester dans les limites exigées par les circonstances ».
"L'intelligence est faite pour adhérer à la vérité"
Comment reconnaît-on une personne vertueuse ?
Lorsque son premier mouvement est de poser le bon choix. La personne vertueuse tend de tout son être vers le bien. Cela montre que la vertu est devenue progressivement chez elle une deuxième nature. Et cela rend la personne heureuse, car c’est notre vraie nature d’être vertueux. Donc un des signes qu’une personne est vertueuse, est qu’elle est heureuse de poser cet acte bon ou, à tout le moins, n’est pas malheureuse de le faire. Mais, bien sûr, il vaut toujours mieux faire un acte bon en maugréant qu’un acte mauvais avec satisfaction !
Comment obtient-on les vertus théologales ?
Les vertus théologales sont « infuses dans l’homme par Dieu », dit saint Thomas. Elles ne sont pas causées par des actes mais des actes peuvent y disposer et les faire grandir. Par exemple, des démonstrations de foi ne donnent pas la foi, mais à l’inverse, plus une personne a développé ses dispositions naturelles à faire le bien, plus elle est disposée à recevoir la vertu de foi. Donc les vertus morales sont le terreau des vertus théologales.
Comment obtient-on les vertus morales ?
Nous en avons la disposition naturelle mais nous les acquérons par nos choix répétés, par de l’entraînement, comme les sportifs ! C’est ce qu’on appelle « l’habitus » – à ne pas confondre avec l’habitude, qui enferme. Cela passe par notre volonté, par l’éducation.
Comment éduquer à la vertu ?
Cela va de pair avec la liberté : une éducation qui ferait faire les choses bien par coercition ne façonnerait pas des personnes vertueuses. Il faut donner le goût du bien, du vrai, du beau, pour que la personne puisse décider de poser des actes bons allant dans ce sens. Il faut qu’elle comprenne que cette inclination au bien est inscrite dans sa nature, et que pratiquer la vertu, c’est le mode d’emploi pour être heureux ! En effet, la morale chrétienne a pour but de nous aider à retrouver dans notre coeur et notre intelligence le bonheur pour lequel Dieu nous a créés et le chemin qui va nous conduire à ce bonheur-là.
Pourquoi saint Thomas dit-il que la vertu de charité est « la mère de toutes les vertus et leur racine » ?
La charité, c’est aimer Dieu et aimer les autres pour Dieu. Donc aucune vertu ne peut exister sans elle puisque toutes les vertus se rapportent de près ou de loin à cet amour.
Et les vices ?
Les vices sont opposés aux vertus, de façon parfois inattendue. C’est passionnant à connaître pour progresser. Il faut aussi parler des fruits et des dons des vertus ! Comme la joie, la sérénité, la douceur, la sagesse… Voilà pourquoi saint Thomas est une mine d’or à approfondir d’urgence !
Propos recueillis par Emilie Poubaix et publiés dans France Catholique N°3816
Aude Dugast
Aude Dugast, philosophe de formation, est postulatrice de la cause de canonisation de Jérôme Lejeune, depuis 2012, au sein de l'Association des Amis du Professeur Lejeune. Elle était vice-postulatrice de l'enquête diocésaine, de 2007 à 2012.