Une fête étendue à toute l’Eglise
Les fresques de la chapelle « polonaise » de la basilique de Lorette (Italie) qui abrite les pierres de la maison de Marie à Nazareth, rappellent la victoire du roi de Pologne Jan Sobieski qui avait dégarni son propre pays de ses 30 ou 40 000 hommes – venus en renfort des 70 000 soldats polonais, allemands et autrichiens commandés par Charles V de Lorraine -. Il repoussa devant Vienne les troupes du grand vizir, Kara Mustafa, le 11 septembre 1683.
La fête du Nom de Marie, fixée au 12 septembre, a été instituée en ex-voto pour cette victoire de Sobieski. Alors que cette fête avait été supprimée du calendrier romain général, c’est le pape polonais Jean-Paul II qui, connaissant son origine, l’a rétablie: pour lui, le 11 septembre ce n’est pas d’abord l’attentat de New York et la tragédie des Tours jumelles, c’est la victoire due à la prière de la Vierge Marie, qui sauve Vienne assiégée.
Mais c’est après le 11 septembre 2001 que Jean-Paul II a perçu la nécessité de rétablir la fête du Saint Nom de Marie, qui avait été instituée en ex-voto pour cette victoire, puis supprimée – faute de mémoire des événements – au XXe siècle.
L’Eglise fête donc le Saint Nom de Marie le 12 septembre, au lendemain de l’anniversaire d’une victoire polonaise du 11 septembre 1683. La fête a été inscrite dans l’octave de celle de la Nativité de la Vierge, pour rappeler aux chrétiens qu’il peuvent avoir recours à l’intercession de la Vierge Marie dans les épreuves, petites ou grandes, comme l’enseigne l’Evangile de Cana ou les paroles du Christ en Croix : « Voici ta Mère. »
La fête du Saint Nom de Marie avait disparu du calendrier en 1970, après le gros travail de rigueur historique qui a suivi le concile Vatican II. Mais comme c’était bien la mémoire d’un événement historique, elle a été rétablie en 2002, en mars, le 22, par le saint pape Jean-Paul II, à cette même date, dans l’editio tertia du Missel Romain, et dans le Martyrologe Romain, donc, après les attentats du 11 septembre 2001, et après la prière des religions pour la paix à Assise, de janvier 2002.
Les saints ont traditionnellement invoqué le Nom de Marie, à l’instar de saint Bernard, comme refuge dans les épreuves. C’était un motif spirituel. Mais Karol Wojtyla connaissait bien aussi les raisons historiques : elles impliquent l’histoire de sa patrie, la Pologne, et de l’Europe, comme en témoignent ces fresques de la « chapelle polonaise ».
En 1683 en effet, plus d’un siècle après la défaite de Lépante (1571), les Turcs tentèrent de passer en Europe occidentale par voie de terre. Mahomet IV avait remis l’étendard de Mahomet à Kara Mustapha, au début de l’année, en lui faisant jurer de le défendre au prix de sa vie si nécessaire. Le grand vizir était fort de 150 000 ou 300 000 hommes – selon les estimations–, et il se promettait de prendre Belgrade (Serbie), Buda (aujourd’hui en Hongrie), Vienne (Autriche), de déboucher en Italie et de descendre sur Rome, « jusqu’à l’autel de saint Pierre ». On imagine le déchaînement de violence qu’un tel projet impliquait.
Jan Sobieski a été difficile à convaincre : il voyait la disproportion entre le nombre de troupes engagées de part et d’autre. C’est un capucin italien, proclamé bienheureux par Jean-Paul II lui-même, Marco d’Aviano, qui l’a convaincu d’intervenir pour faire pencher la balance.
En août 1683, ce grand mystique était en effet nommé grand aumônier de toutes les armées d’Europe. Il sut redonner courage à Vienne et il réussit à convaincre le roi de Pologne de venir au secours de la capitale autrichienne assiégée depuis le 14 juillet et alors que sa reddition était une question d’heure. Le roi polonais avait raison: le rapport de forces n’était pas en faveur des troupes européennes. Cependant, Vienne se confiait à l’intercession de la Vierge et l’image de la Vierge était sur tous les étendards.
Le 11 septembre 1683, sur le Kahlenberg qui domine la ville, au nord, le p. Marco célébra la messe, servie par le roi polonais, devant l’armée disposée en demi-cercle. Le capucin prédit une victoire inouïe. Et au lieu de terminer la célébration par les paroles liturgiques : « Ite missa est », il cria : « Ioannes vinces ! » (« Jan, tu vaincras ! »).
Les troupes conduites par Jan III Sobieski et le duc Charles de Lorraine attaquèrent les Ottomans à l’aube du 11 septembre. Le soleil brillait sur les deux armées dont dépendait le sort de l’Europe. Les cloches de la ville sonnaient depuis le matin. Les femmes et les enfants priaient dans les églises, implorant l’aide de la Vierge Marie. Et voilà que le soir de ce 11 septembre, l’étendard du grand vizir était tombé aux mains de Sobieski : le danger de la marche sur Rome était conjuré.
Le lendemain, 12 septembre, Sobieski fit son entrée dans la ville en liesse, et il vint assister à la messe et au Te Deum en l’église de la Vierge de Lorette à laquelle il attribuait la victoire.
Le pape Innocent XI aussi attribuait cette victoire à l’intercession de la Vierge. C’est en ex-voto qu’il institua alors la fête en l’honneur du Saint Nom de Marie. On comprend mieux les fresques de la « chapelle polonaise » de Lorette.
Le 25 novembre 1683, la fête fut étendue à toute l’Église, et la Nativité de Marie fut fixée au dimanche suivant. C’est le pape saint Pie X qui a ensuite préféré fixer la date au 12 septembre, au jour anniversaire non de la victoire, mais de sa célébration. Rétablir la fête c’était donc, pour Jean-Paul II, rappeler aux catholiques d’invoquer Marie face aux graves dangers internationaux.
Pour la petite histoire, ce même bienheureux Marco d’Aviano, qui se languissait à Vienne de son café italien, aurait alors inventé le « capuccino », qui porte le nom de son ordre religieux, une branche de la famille spirituelle franciscaine.
Anita Bourdin
Journaliste accréditée au Vatican depuis 1995. A lancé Zenit en français en janvier 1999. Correspondante à Rome de Radio Espérance. Formation: journalisme (Bruxelles), théologie biblique (Rome), lettres classiques (Paris).