Ce dimanche 1er août, le ciel était à la pluie ! Un petit chapiteau installé devant la chapelle abritait l’autel, le célébrant, le Père Jean Bernard, les musiciennes et l’animatrice.
Les fidèles s’étaient serrés sous le grand chapiteau de la commune et la pluie est tombée pendant toute le messe !
L’Évangile du jour raconte la multiplication des pains :
« Donnez-leur vous-même à manger » (Mt 14,16)
Le soir venu,
les disciples s’approchèrent et lui dirent :
« L’endroit est désert et l’heure est déjà avancée.
Renvoie donc la foule :
qu’ils aillent dans les villages s’acheter de la nourriture ! »
Mais Jésus leur dit :
« Ils n’ont pas besoin de s’en aller.
Donnez-leur vous-mêmes à manger. »
Alors ils lui disent :
« Nous n’avons là que cinq pains et deux poissons. »
Jésus dit :
« Apportez-les moi. »
Puis, ordonnant à la foule de s’asseoir sur l’herbe,
il prit les cinq pains et les deux poissons,
et, levant les yeux au ciel,
il prononça la bénédiction ;
il rompit les pains,
il les donna aux disciples,
et les disciples les donnèrent à la foule.
« Ils mangèrent tous et ils furent rassasiés » (Mt 14, 13-21)
Les premières communautés chrétiennes ont beaucoup médité sur le miracle des pains, à tel point que les Évangélistes ont recueilli dans la tradition orale six récits de l’épisode, dont deux chez Marc et deux chez Matthieu ; Manifestement, ils ont voulu ne rien laisser se perdre des souvenirs de leur communauté.
Et ils ne se sont pas trompés en accordant à ce miracle des pains une place privilégiée dans leur Évangile. C’était un geste qui regardait à la fois vers le passé, vers le présent et vers l’avenir.
Vers le passé, car il rappelait le don de la manne au désert, et donc la providence inlassable de Dieu pour son peuple tout au long de son histoire ; de plus, pour ceux des premiers chrétiens qui connaissaient l’Ancien Testament, la mention des corbeilles pleines de restes évoquait immédiatement le miracle du prophète Élisée, raconté en 2 Rg 4,43-44.
Ainsi, par ce miracle des pains, Jésus se présentait comme supérieur à la fois :
– à Moïse, qui n’avait été que témoin du don de la manne,
– à Élisée, qui n’avait nourri que cent personnes.
Pour le présent, le miracle était destiné à susciter la foi en Jésus chez les Galiléens. Depuis des mois, Jésus parlait, dans leurs synagogues et en plein air ; mais ses guérisons avaient finalement plus de succès que son message. Quelques jours auparavant, Jésus venait d’être pratiquement rejeté par ses compatriotes de Nazareth : après quelques prédications dans la synagogue de sa jeunesse, il avait dû se rendre à l’évidence : on ne le suivait pas, on s’obstinait à attendre de lui les prises de position et les entreprises d’un Messie politique.
C’est malheureusement encore dans ce sens que les Galiléens vont réagir au miracle des pains : ils voudront, dit saint Jean, enlever Jésus pour le faire roi, alors que Jésus voulait être perçu comme l’Envoyé de Dieu, le vrai berger d’Israël, capable, au nom et avec la puissance de Dieu, de rassembler et de nourrir son peuple.
Mais en même temps qu’un appel à la foi de tous les Galiléens, le miracle des pains voulait être un enseignement destiné aux Douze. Le souci des foules, la pitié pour les brebis sans berger, l’attention à tous les besoins de l’humanité, tous ces sentiments qui dictaient la conduite journalière de Jésus devaient passer désormais dans le cœur des disciples : « Donnez-leur vous-mêmes à manger ».
Au-delà de la faim matérielle des hommes, que les Apôtres ne pourront jamais oublier, Jésus vise une faim plus radicale, qu’il est seul à pouvoir combler : la faim de la parole de Dieu, de cette parole qui ouvre l’avenir et qui met debout ceux qui l’entendent. Nourris par Jésus avec la foule dans le désert, les Apôtres, à leur tour, devront nourrir le peuple de Dieu, avec le pain même de Jésus, le pain de sa révélation et le pain vivant de son Corps ressuscité.
Et c’est là que le miracle des pains pointe vers l’avenir.
Le pain à satiété dans le désert préfigure l’Eucharistie que Jésus donnera à son peuple la veille de sa mort. Vous avez remarqué que les gestes de Jésus lors de la multiplication des pains sont les gestes du chef de famille bénissant le pain à chaque repas, ceux-là mêmes que Jésus refera le soir du Jeudi-Saint : « Jésus prit du pain, le rompit, le bénit et le donna à ses disciples. »
Et plus lointainement encore, le miracle du peuple rassasié préfigure, dans la pensée de Jésus, le rassemblement définitif de tous les hommes de bonne volonté dans le Royaume du Père ; c’est un avant-goût du Royaume messianique dont Jésus parle si souvent dans ses paraboles.
D’où l’importance d’un petit détail, que les Évangélistes ont relevé : il restait douze corbeilles ; entendons : les douze tribus d’Israël avaient été rassasiées, le peuple de Dieu tout entier avait trouvé la joie auprès du Messie.
Chaque jour l’Eucharistie de la communauté tourne nos yeux vers le passé, vers le moment de la mort glorifiante de Jésus, cette Heure où, une fois pour toutes, il est passé de ce monde au Père.
En même temps, chaque communion des frères ou des sœurs à l’Eucharistie, à l’action de grâces du Seigneur, pointe vers l’avenir définitif, et anticipe le moment où Jésus viendra de nouveau, pour nous prendre tous, corps et âme, dans sa gloire.
N’attendons pas que l’Eucharistie devienne pour nous évidente. Jésus ne l’a pas instituée pour cela, mais pour nous introduire plus sûrement dans son mystère. Lorsque nous tenons l’Eucharistie dans nos mains, ce que nous voyons, ce que nous touchons, ce que nous goûtons, n’est que l’entrée dans le mystère. Tout repose en définitive sur la parole de Jésus, que nous redisons sans pouvoir en épuiser la richesse : « Ceci est mon Corps ; ceci est mon Sang ».