Cet été, lors de différents pardons, vous avez pu croiser le père Alain Bourdery, missionnaire en Thaïlande, de passage dans notre région.
Quelles sont vos attaches avec le Centre Bretagne ?
Le mot attache sonne juste. Je me sens lié au Centre Bretagne. D’abord parce c’est la terre de ma famille maternelle, originaire de Glomel. Je continue d’y passer d’heureuses vacances et je suis loin d’avoir des souvenirs de bagnard dans la tranchée du canal ! Je profite du canal, de la voie verte pour de longues promenades en vélo. Ensuite parce que, curieusement, en allant vivre en Thaïlande, je me suis senti préparé à ma mission par la Bretagne. La vie dure d’autrefois et la richesse des coutumes du Kreiz Breizh ne sont pas si éloignées des conditions actuelles dans les campagnes reculées de Thaïlande et dessinent la trame d’un destin commun.
Et puis enfin, je n’ai jamais rien vu d’aussi beau en ce monde qu’une chapelle bretonne au jour de son pardon ! C’est vrai non ?
Pourquoi avoir choisi d’être missionnaire plutôt que prêtre diocésain ?
On me le demande souvent et parfois avec une pointe de reproche ! C’est vrai que le nombre de prêtres a terriblement diminué dans notre région au point d’en manquer. Alors on s’interroge : pourquoi les Français partent alors que des Africains sont obligés de venir…
Je me suis senti appelé à partager avec ceux qui en étaient le plus loin, le bonheur d’être chrétien. Je voulais témoigner en vivant au milieu de ceux qui n’en avaient jamais entendu parler, qui vivaient dans une autre culture, avec un autre climat, une autre langue, de ce que la foi rend heureux. Croire dans un Dieu qui se fait homme ne va pas de soi en Asie. Je voulais être son témoin pour que d’autres s’y intéressent, aient envie de le connaître et de le suivre.
Etre témoin, cela ne veut pas dire se tourner les pouces ! Oh non ! Il faut créer des dispensaires, construire des écoles, bâtir des communautés chrétiennes. Jamais, je n’aurais imaginé avoir une vie plus passionnante que cela.
Arrivé en Thaïlande il y a 15 ans, comment avez-vous réussi à vous intégrer ?
Pas facile d’oublier les crêpes de froment, le cidre et le kouign aman !
Tout est différent en Asie ; la nourriture bien sûr. Mais la langue est le premier défi à relever. Le thaïlandais est si compliqué qu’il parait impossible à un cerveau humain de l’avoir inventé. Au jour de découragement, on est tenté de penser que c’est le diable qui a introduit cette langue ! Chaque syllabe peut se prononcer de 5 façons différentes pour revêtir 5 sens différents. « Elle a dit ma ou elle a dit ma », elle a dit cheval ou elle a dit venir ? C’est le même mot «ma», mais l’intonation diffère.
Il faut plus de 2 années à un cerveau pas trop mal fait pour se dépatouiller en thaï. Au début on bredouille, on dit plein de bêtises. Puis peu à peu, on se surprend à rêver en thaï.
Mais pour moi le rêve n’a pas duré. Une fois aguerri au thaï et un peu autonome, mon évêque m’a envoyé dans une région montagnarde et isolée, au milieu d’une ethnie qui ne parlait pas… thaïlandais ! Il a fallu apprendre une autre langue, d’autres coutumes.
Pour s’intégrer, il faut se faire aimer. Manger la même nourriture, parler la même langue et vivre au rythme des joies et peines de ceux qui nous entourent. Et quel bonheur quand on se sent intégré ! Un jour, dans un village, un des anciens avec qui je discutais m’a demandé de patienter un instant. Il s’est retiré. Peu de temps, mais assez pour que je me demande ce qu’il préparait. C’était inhabituel. Il n’est pas revenu seul, d’autres anciens l’accompagnaient. L’un d’eux portait tout un matériel inquiétant : une longue tige de bambou avec une pointe au bout et un flacon d’encre. Ils m’ont tatoué la croix des chrétiens sur le bras comme ils le font pour eux-mêmes. J’étais intégré. Ils m’avaient adopté.
Les touristes parcourant la Thaïlande voient surtout des temples bouddhiques. Est-ce un inconvénient d’être une minorité de catholiques ?
C’est d’abord un fait. Les chrétiens sont un extrême petit nombre et ils vivent différemment des autres. Alors on les regarde et à eux de faire en sorte de ne pas décevoir ou trahir le message qu’ils portent en eux. Une communauté chrétienne, là-bas et ici, c’est identique parce que nous vivons la même foi et les mêmes sacrements nous régénèrent. Mais c’est aussi différent car là-bas, il n’y a pas de non pratiquant. On est chrétien ou on ne l’est pas !
Je me souviens d’un visiteur étranger. Il avait fièrement rappelé qu’il croyait mais n’allait pas à l’église. Pour lui, cela n’était pas incompatible mais pour les chrétiens thaïs, c’était tout simplement incompréhensible et j’ai été assailli de questions une fois qu’il a quitté les lieux.
Les communautés se rassemblent pour célébrer chaque semaine, avec ou sans prêtre. Un malheur touche une famille ? Ses voisins chrétiens le rejoignent pour prier chez lui. Une joie ? On se rassemble pour rendre grâce. Cette ferveur et cette façon de vivre fraternelle attirent les non chrétiens.
Parlez-nous du peuple karen dont vous êtes chargé.
Méfiez- vous, je vais être intarissable !
Les Karens habitent les régions montagneuses de la Thaïlande, à la frontière de la Birmanie. Ils vivent dans des villages isolés. Ils cultivent la rizière, ils chassent et pêchent pour subvenir à leurs besoins. Les villages rassemblent autant de familles que les terres avoisinantes peuvent en nourrir, environ une vingtaine. Leur vie est précaire et les villages sont pauvres. Les Karens sont originaires du Tibet et ne ressemblent pas aux Thaïlandais. Leur culture est très différente : une autre langue, une autre religion… Un peu comme autrefois les bretons pour résumer simplement.
Aujourd’hui, ils veulent quitter leur vie de misère et cherchent à s’intégrer à la société thaïlandaise. La tendance est plutôt au mépris face à ces gens de la forêt, et les Karens doivent justifier qu’ils ne sont pas des réfugiés dans ce pays qu’ils habitent pourtant depuis 1000 ans !
Ils doivent donc lutter. Lutter pour vivre ! C’est aussi ce combat de tous les jours qui en fait un peuple attachant car malgré tout cela, vous ne trouverez pas plus joyeux qu’un Karen.
En quoi votre mission est exaltante ?
Ce qui m’émerveille, c’est la variété de ce que j’ai pu vivre. Et tout cela n’a été possible que parce que les Karens m’ont accepté. J’ai appris à croire en l’homme. Exaltant non ?
Propos recueillis par Joël Le Biavant