Le premier jour de la semaine, Marie Madeleine se rend au tombeau de grand matin ; c’était encore les ténèbres. Elle s’aperçoit que la pierre a été enlevée du tombeau.
Elle court donc trouver Simon-Pierre et l’autre disciple, celui que Jésus aimait, et elle leur dit : « On a enlevé le Seigneur de son tombeau, et nous ne savons pas où on l’a déposé. »
Pierre partit donc avec l’autre disciple pour se rendre au tombeau. Ils couraient tous les deux ensemble, mais l’autre disciple courut plus vite que Pierre et arriva le premier au tombeau.
En se penchant, il s’aperçoit que les linges sont posés à plat ; cependant il n’entre pas. Simon-Pierre, qui le suivait, arrive à son tour. Il entre dans le tombeau ; il aperçoit les linges, posés à plat, ainsi que le suaire qui avait entouré la tête de Jésus, non pas posé avec les linges, mais roulé à part à sa place.
C’est alors qu’entra l’autre disciple, lui qui était arrivé le premier au tombeau. Il vit, et il crut.
Jusque-là, en effet, les disciples n’avaient pas compris que, selon l’Écriture, il fallait que Jésus ressuscite d’entre les morts.
(Jean 20-1,9)
Le suaire était roulé à part, à sa place …
Que s’est-il passé ensuite ? Comment est-il arrivé jusqu’à Turin où il est conservé aujourdhui ?
Le très célèbre Suaire aujourd’hui appelé « Linceul de Turin », est apparu en France à partir de 1357, dans la petite ville de Lirey, à une quinzaine de kilomètres au sud de la ville de Troyes en Champagne, selon la première mention historique documentée non contestée à ce jour.
Comment ce tissu a-t-il pu arriver là et d’où pouvait-il venir ?
Le Linceul de Turin est selon toute probabilité le « linge d’Édesse », très connu dans l’Antiquité, appelé souvent à tort Mandylion. On s’en convainc en suivant son itinéraire : Eusèbe de Césarée (écrivain de Palestine, 264 – environ 340) évoque dans son « Histoire Ecclésiastique » la légende du roi Abgar qui aurait reçu une image miraculeuse du Christ. Il est question ensuite à Édesse (aujourd’hui Urfa, dans l’extrême sud-est de la Turquie) d’une image mystérieuse, « non faite de main d’homme » (acheiropoïète selon le terme grec), qui repousse, paraît-il, les Perses en 544.
À partir de cette date, on constate un changement radical dans la représentation du Christ. Après les premières représentations symboliques (pain, ancre, poisson) le Christ avait été représenté comme un jeune pasteur grec imberbe (notamment dans les catacombes et dans toutes les églises antiques Milan, Ravenne, etc.). Puis, très curieusement, à partir du VIe siècle, toutes les représentations du Christ vont changer relativement brutalement dans le monde chrétien oriental. On va lui substituer une image de face, des cheveux longs avec une raie centrale, une barbe bifide, un visage ovale et un nez allongé, avec bien souvent une double mèche au sommet du front, à l’endroit où il y a une double tache de sang sur le Linceul. On le constate par exemple sur la monnaie de l’Empereur Justinien, frappée en 565, ainsi que sur la magnifique image du Christ du monastère Sainte Catherine en 550, sur les icônes de la Basilique Sainte Sophie à Constantinople, à Ohrid en Macédoine, à Palerme, au Mont Athos, etc. Partout la ressemblance de ce nouveau « canon » avec le visage du Christ sur le Linceul est frappante. On en est donc venu naturellement à imaginer que le « linge d’Édesse », probablement à l’origine de cette nouvelle iconographie, pouvait être le Linceul de Turin. En effet, les représentations du linge d’Édesse en notre possession, se rapprochent du visage du Linceul en imaginant le Linceul replié huit fois sur lui-même.En 650, Édesse est conquise par le califat islamique mais le « linge d’Édesse » reste vénéré malgré la présence musulmane, ce qui lui permettra providentiellement d’échapper aux destructions liées à la crise iconoclaste entre 730 à 787. Le second concile de Nicée (787) rétablit la légitimité des images, en utilisant comme argument essentiel « l’image d’Édesse », pour légitimer l’usage des images sacrées : « En tant qu’homme parfait, le Christ non seulement peut, mais doit être représenté et vénéré en image. » Léon, lecteur de l’église de Constantinople, est cité comme témoin principal et atteste avoir vu à Édesse l’image d’un linceul.
En 943, l’Empire byzantin lance une expédition ponctuelle et assiège Édesse dans le but d’acquérir la précieuse relique. Pour éviter une dégradation de ce linge, les chrétiens préfèrent négocier et acquérir ce célèbre trésor, par le versement de 12 000 pièces d’or. Ils la ramènent à l’Empereur de Byzance, dans une procession triomphale le 15 août 944. Cette réception grandiose sera illustrée ultérieurement (au XIIe siècle) dans le manuscrit de Jean Skylitzes. À cette occasion, Grégoire le Référendaire évoque dans une homélie « cette empreinte qui nous donne ici le visage du Christ », qui « est embellie par les gouttes de sang jaillies de son côté ». Cette relique sera conservée dans la chapelle du Palais du Boucoléon (Constantinople), puis dans l’église Sainte-Marie des Blachernes.
En 1190, le Linceul est précisément dessiné dans le Codex de Pray. Un pèlerin hongrois de passage à Constantinople livre un témoignage saisissant dans ce premier texte hongrois conservé à la Bibliothèque de Budapest (découvert au XVIIIe siècle par le jésuite Georgius Pray qui laisse son nom au manuscrit), sur lequel on peut reconnaître le Christ dans l’état et la position exacte du Linceul de Turin : nudité, croisement des bras dans la même position que le Linceul, pouces cachés, traces de sang, tentative d’imitation des chevrons, trous, etc… Suite à toutes ces constatations et indices convergents, la probabilité pour que le Linceul de Turin soit ainsi passé par Constantinople est très grande.En 1203, le chevalier picard Robert de Clari, auteur d’une chronique sur la quatrième Croisade, décrit le Linceul à Constantinople : « Il y a un monastère appelé Sainte-Marie des Blachernes », où il aperçut « le Linceul où Notre Sire fut enveloppé, qui chaque vendredi se dressait tout droit, si bien qu’on pouvait y voir la figure de Notre Seigneur ». En 1204, la quatrième Croisade détournée de son but dévaste Constantinople. 33 000 croisés français et 17 000 Vénitiens, lancés par le pape Innocent III, partent délivrer Jérusalem conquis par Saladin en 1187. Suite à des querelles confuses et à l’âpreté relative au gain des Vénitiens, ils vont attaquer et piller Constantinople pendant plusieurs jours à partir du 14 avril 1204. Au cours de cette dévastation, les soldats de Venise et de France vont se déshonorer par un pillage généralisé, en s’appropriant tous les trésors d’or, d’argent et d’ivoire de tous les édifices possibles. Robert de Clary témoigne de la disparition du linceul au cours du pillage : « Plus jamais personne, ni Grec, ni Français, ne sut ce que ce Linceul devint quand la ville fut prise. » Cette disparition suscita un grand émoi, car les Byzantins considéraient vraiment leur linceul comme une relique insigne. Dans sa lettre au pape Innocent III, Théodore Ange Comnène, neveu du dernier empereur, réclame la restitution de « la relique la plus sacrée, le linteum, dans lequel le Christ avait été enveloppé ». « Nous savons que le sacré Linceul est à Athènes. »
À partir de cette date et jusqu’en 1357, les indices disparaissent et une foison d’hypothèses a été émise, toutes fragiles (*).
En 1357, le Linceul se retrouve à Lirey, en Champagne. Ce linge y réapparait dans la famille d’un certain Geoffroy de Charny, seigneur de Lirey tué en 1356 en défendant le roi Jean II, à la bataille de Maupertuis dite « de Poitiers ». Sans être un grand du royaume, ce proche du roi joua un rôle important. Il laissa une veuve dans le besoin, Jeanne de Vergy. Celle-ci organisa en 1357 à Lirey, les première ostensions du Linceul du Christ dans la collégiale de Lirey. L’évêque de Troyes, Henri de Poitiers, prit ombrage du succès de ces ostensions et les fit interdire jusqu’en 1388. Elles reprirent à cette date et le nouvel évêque Pierre d’Arcis envoya au pape Clément VII, un célèbre mémorandum repris aujourd’hui par tous les opposants au Linceul. En réponse, le Pape émet deux bulles en 1390 pour autoriser les ostensions. Veuve et sans enfant, Jeanne de Vergy « fait don » le 22 mars 1453, de la précieuse relique au duc Louis de Savoie qui lui donnera gracieusement les revenus de la seigneurie de Varembon…
De 1453 à 1983, le « Saint Suaire » reste donc la propriété de la Maison de Savoie. D’abord dans son château de Chambéry, puis à partir de 1502 dans la « Sainte chapelle » où il subira, dans la nuit du 3 au 4 décembre 1532, un incendie qui y fera des brûlures et de nombreux trous. Par une chance incroyable, due au pliage, une partie importante de l’empreinte ne fut pas altérée. Puis, le Linceul fut transféré à Turin en 1578. Il restera la propriété de la Maison de Savoie jusqu’à la mort, en 1983, du grand-duc Umberto II de Savoie qui en fit don au Vatican par testament.
En conclusion, l’ensemble de ces témoignages semble très cohérent et ce parcours pourrait tout à fait être celui du Linceul du Christ, qui semble être passé par Jérusalem et par le désert de Judée si l’on en croit l’analyse des pollens de Max Frei, Avinoam Danin, Uri Baruch, les époux Whanger et Marzia Boi. Ces études sur les pollens retrouvés sur le Linceul restent cependant contestées par manque de preuves. Enfin, au-delà de cette analyse historique, l’analyse scientifique de ce drap si mystérieux conclut aussi à l’authenticité (cf proposition de formation en bas de cette page). Ce linge en lin pur, sans mélange de laine animale selon les traditions juives antiques, tissé en chevrons, a commencé à étonner la science après la photographie de l’avocat italien Secundo Pia le 28 mai 1898. Lors de la révélation du négatif, l’image corporelle de couleur sépia et peu visible, devint une image beaucoup plus nette. Le Suaire se comporte en fait comme un négatif photographique : une notion tout à fait inconnue avant l’invention de la photographie au XIXe siècle. Cette découverte qui fit l’effet d’une bombe et qui engendra immédiatement de très intenses polémiques, intervint un an seulement après la mort en 1897 de Sainte Thérèse de l’Enfant Jésus et de la Sainte Face, qui avait dédié sa vie à la Sainte Face du Christ…
À partir de ces différentes analyses, il n’est pas inutile d’approcher la question à partir d’un arbre logique :
1. Le Linceul a été réalisé par une personne : cette hypothèse, la plus courante, d’un faussaire du Moyen Âge n’est pas valide pour plusieurs raisons.
– Toutes les analyses scientifiques de spectrographies prouvent l’absence des composants d’une peinture (pigments et liant).
– D’autre part, on observe sur la vue négative une vingtaine de détails, présents sur le Linceul et absolument inconnus au Moyen Âge : image en négatif, intensité liée au relief, tuméfactions diverses (visage et dos), position des clous dans le carpe, position dissymétrique du corps, sang rouge sous l’action de la bilirubine, présence d’aragonite invisible à l’œil et identique à celle de Jérusalem (sur le genou, sous les pieds et sur le nez), présence de quatre muscles fessiers tétanisés ne touchant pas le sol, anomalies de proportion, etc. Il est frappant que l’image que ce corps a transmise, soit si conforme, et sans aucune erreur, à l’intégralité des textes évangéliques de la Passion du Christ, avec tous les détails de la flagellation, du port du patibulum, de la crucifixion, du couronnement d’épines, du coup de lance post mortem, du transport au tombeau, etc. De plus, cette image nous a même révélé des détails sur le crucifiement que nous ne connaissions pas jusqu’alors, comme par exemple la position dissymétrique des condamnés sur la croix. Ces détails inconnus au XIVe siècle, ne pouvaient pas non plus être imaginés donc a fortiori réalisés par un faussaire. Cette hypothèse est donc vraiment impossible.
2. Si elle n’a pas été réalisée par une personne, l’empreinte s’est donc faite soit par contact, soit à distance, par un rayonnement. L’hypothèse d’une image produite par contact est exclue, car il devrait y avoir dans ce cas une déformation de l’empreinte sur les côtés de la tête et du corps, ce qui élargirait l’image.
3. Il reste une production par rayonnement. Il faudrait d’abord que ce rayonnement génère une oxydation déshydratante, identique à celle observée sur l’empreinte du Linceul. Le biophysicien français J-B Rinaudo a montré, par l’irradiation de lin à partir d’un accélérateur de particules, qu’un jet de protons répondait à la question, ainsi qu’à la possibilité de donner le relief 3D. Avec des réglages adéquats, l’empreinte obtenue a la même épaisseur que sur le Linceul. Il a imaginé alors que l’éclatement de particules de deutérium sur la peau devrait générer un double flux de protons et de neutrons. Après avoir expérimenté le jet de protons, il s’est attaqué à une irradiation de neutrons. Le Père Rinaudo a pu prouver expérimentalement que l’irradiation de neutrons « rajeunissait » la cible de tissu. Ainsi, son hypothèse d’éclatement de deutérium utilise des phénomènes naturels connus et pourrait expliquer aussi bien la nature de l’empreinte que le rajeunissement du tissu, ce qui rendrait le résultat de l’analyse au carbone 14 sans signification. Le premier vrai problème réellement impénétrable est donc l’origine de cet éclatement du deutérium. D’où viendrait l’énergie nécessaire à cet éclatement ? Le deuxième problème, particulièrement insoluble, est de savoir pourquoi ce rayonnement se serait produit de manière directionnelle, perpendiculairement au tissu, de façon à dessiner une image parfaite, alors que tous les rayonnements connus sont d’habitude omnidirectionnels ? En résumé, le rayonnement dont on parle est actuellement doublement incompréhensible…
Finalement, l’explication de l’origine de l’image semble devoir rester cachée aux hommes. Après plus de 500 000 heures d’étude par des chercheurs de haut niveau (le Linceul est de très loin, aujourd’hui, l’objet matériel le plus étudié au monde), la science doit s’avouer vaincue, n’ayant aucune explication valable à fournir à ce jour. La seule explication cohérente se situe au-delà de la science : car pour interpréter l’image du Linceul, les chrétiens pensent naturellement à quelque chose semblable à un « flash » de la résurrection. Comme pour la démonstration de l’existence de Dieu, il s’agit bien évidemment de la conclusion d’un raisonnement indirect, car il n’y a aucun élément scientifique pour prouver cela positivement et directement, mais il n’y a aujourd’hui aucune autre explication disponible qui soit cohérente. En toute logique, un effet absolument singulier ne peut être effectivement produit que par une cause absolument singulière…
Ce linge qui ne pouvait ni être conçu ni être réalisé au Moyen Âge est donc bien réellement « une provocation à l’intelligence » comme disait Jean-Paul II. Au total, les conclusions auxquelles toutes ces études et raisonnements nous conduisent aujourd’hui semblent nous obliger à considérer le Linceul de Turin comme un signe clair, fort et finalement assez incontestable que Dieu donne à notre époque pour qu’elle reconnaisse la réalité des mystères de l’Incarnation, de la souffrance, de la mort et de la Résurrection de son Fils !
Jean Dartigues, Ingénieur en retraite, conférencier, secrétaire de l’association Montre nous ton Visage – Études sur le Linceul depuis 1950
Ce texte a été publié sur le site « Notre histoire avec Marie ».« Notre Histoire avec Marie » est une initiative de l’Association Marie de Nazareth
qui a construit en 2011 le Centre Marie de Nazareth, à Nazareth en Israël. (*) Note de l’Association Marie de Nazareth : Jean Dartigues considère qu’il y a beaucoup d’hypothèses et trop peu de certitudes pour évoquer sérieusement ces 150 années qui séparent la disparition du Linceul du Christ en 1204 lors du sac de Constantinople de sa réapparition à Lirey en Champagne en 1357, mais Jean-Michel Mahenc a proposé le 28 avril 2017 avec l’Association Marie de Nazareth une projection en la Basilique Notre-Dame de Bonne Garde à Longpont-sur-Orge (91) où il évoquait la concordance d’un certain nombre de faits :
– on sait qu’en 1204, le chevalier champenois Othon de la Roche avait son campement à côté de l’église des Blachernes, lors du sac de Constantinople ;
– on sait également qu’en 1205, il devint Duc d’Athènes et que ses successeurs y gouverneront durant plus d’un siècle, jusqu’en 1451 ;
– dans sa lettre au Pape déjà citée, Théodore Ange Comnène, neveu du dernier empereur, écrira aussi « Le vol de si nombreuses choses sacrées va contre le droit des hommes et les lois de Dieu. Nous savons que ces choses sacrées sont conservées à Venise, en France et autres pays des pillards, le sacré Linceul étant à Athènes (!) » ;
– à partir de 1354, le Linceul volé aux Byzantins se retrouve comme par hasard en Champagne, dans l’héritage de Geoffroy de Charny, qui fut tué – comme l’explique Jean Dartigues – en 1356, laissant une veuve, Jeanne de Vergy, qui organisa en 1357 en France les premières ostensions du Linceul du Christ ;
– Pierre d’Arcis, évêque de Troyes, veut faire alors interdire ces ostensions, mais le pape Clément VII intervient de manière surprenante pour les autoriser, en mettant comme seule condition qu’elles se fassent avec discrétion, ce qui est somme toute une attitude assez logique si l‘on considère que le Pape savait bien qu’il s’agissait d’une relique arrachée aux byzantins dans des conditions qui allaient effectivement « contre le droit des hommes et les lois de Dieu »…
Même si on manque de preuves, la présence de Champenois du début à la fin de l’épisode 1204-1357 est quand même une coïncidence frappante que chacun pourra apprécier comme il le souhaite…
Compléments NDLR : L’analyse du groupe sanguin (AB) et de la position des plaies est aussi très cohérente avec ce qu’on trouve sur les autres reliques que sont le Suaire d’Oviedo et la Tunique d’Argenteuil, comme semblent l’indiquer les études de Jean-Maurice Clercq.