L'épisode de la tour de Babel
se révèle d'une
saisissante actualité
On entend souvent dire que la Pentecôte est une « anti-Babel ». Il est vrai que, selon l’Écriture, au moment du célèbre épisode de la tour de Babel, les hommes ont été dispersés par la confusion linguistique (Genèse 11, 1-9), tandis qu’à la Pentecôte, l’Esprit Saint les a réunifiés par le don des langues donné aux apôtres (Actes, 2). Tout cela est bel et bon, mais approfondissons un peu
« Faisons-nous un nom… »
Les rêves de la modernité
La tour est ainsi beaucoup plus qu’une tour ; c’est un projet visant à acquérir une parfaite autarcie, une totale sécurité, une indépendance radicale à l’égard de la Création et de son Créateur. Se couper de la nature, s’éloigner du sol, tout artificialiser, vivre pour toujours dans une ville gigantesque, dans les étages d’un gratte-ciel sans limite… Tout y est. Platon n’est pas le seul à avoir anticipé les rêves de la Modernité; la Bible aussi les a décrits. Un midrash saisissant rapporte même que, sur cette tour en perpétuelle construction, puisqu’elle s’était donné un terme inatteignable, la vie des personnes ne comptait plus autrement que comme un moyen au service de la tour.
La vie des personnes ne comptait plus
On peut voir là une prophétie de l’objectif de croissance infinie que la société moderne s’est donné depuis trois siècles :d’abord présentée comme un moyen au service de l’homme et de ses aspirations, l’économie finit par devenir autonome et par imposer ses fins propres. On ne produit plus pour satisfaire des besoins réels, on crée des besoins artificiels pour permettre la production, et accroître ainsi le volume du PIB. L’abstraction quantitative devient une fin en soi qui dévore toute réalité vivante, comme un Moloch
La diversité n'est pas mauvaise en soi
L'Esprit Saint ne parle pas le "globish"
Régénération des différences culturelles
C’est pourquoi justement, au moment de la Pentecôte, l’Esprit Saint ne vient pas annuler, ni contester la diversité linguistique, mais la consacrer : « Des langues, semblables à des langues de feu, leur apparurent, séparées les unes des autres, et se posèrent sur chacun d’eux. Et ils furent tous remplis du Saint-Esprit, et se mirent à parler en d’autres langues » (Actes 2, 3-4). La proclamation de la Bonne Nouvelle auprès de l’humanité tout entière n’a jamais supposé la suppression des différences culturelles, mais seulement leur régénération, de l’intérieur, par le souffle de l’Esprit.
Il y a évidemment quelque chose d’universel en l’homme – la dignité de fils de Dieu, appelé à la vision béatifique – mais cette chose universelle n’a d’existence concrète, ici-bas, qu’incarnée dans une particularité – qui doit être respectée. La langue universelle, le gouvernement mondial, le village global – tous ces songes babéliens – sont profondément contraires à la nature sociale des hommes, car ils supposent, pour être réalisés, l’atomisation préalable du corps social, l’arrachement à la nature, l’arrachement à l’héritage.
L’Esprit Saint ne parle pas le « globish », il « parle à chacun sa propre langue, sa langue maternelle » (Actes 2, 5).
Publié dans France Catholique N°3726
Frédéric Guillaud
Frédéric Guillaud, ancien élève de l’École normale supérieure, est agrégé de philosophie.