Le cri d’un homme, d’un enfant, d’un peuple, déchire le silence et traverse les limites, les défenses, les murs que nous avions construits pour nous protéger. Il vient toucher en nous la fragilité : fragilité de l’humanité, fragilité personnelle. Certains cris peuvent nous faire perdre l’équilibre, physique ou intérieur. Cri de l’enfant qui vient au monde, dans la plongée, dans l’inconnu : cri de la vie qui s’ouvre… Cri de l’homme ou de la femme qui meurt sous le coup de la violence aveugle. C’est toujours le cri de la vie et le cri de la mort. Nous sommes tous entre la mort et la vie. Quand la Bible évoque un Dieu qui « a entendu le cri de son peuple » (Livre de l’Exode 3, 7), elle parle d’un Dieu qui est touché, en son être, par la clameur des hommes, des femmes et des enfants, réduits à l’état d’esclaves, à bout de forces. Le cri des esclaves a traversé toutes les distances jusqu’à atteindre le cœur de Dieu.
La clameur des vivants, dans cet ultime appel, dans le dernier souffle, brise les séparations et « fait sortir » Dieu lui-même : « Je suis descendu pour le délivrer » (Exode 3, 8).
La clameur des plus pauvres, esclaves aujourd’hui d’un système de développement qui les arrache à leur terre, à leurs proches, à leurs traditions… cette clameur nous touche-t-elle encore ou sommes-nous résignés ? Ils sont pourtant si proches de nous, sur cette terre devenue « petite » et « fragile ».
Mais nous sommes parfois loin de nos proches et ce qu’ils vivent, là-bas, nous demeure étranger.
Leur cri – qui ne trouve plus toujours les mots pour dire ce qu’ils ressentent – peut-il interroger le pouvoir de ceux qui dirigent le monde et notre conscience de citoyens du monde, notre conscience de frères ?
La clameur de la terre, elle-même épuisée, en de nombreux lieux, par une exploitation et une instrumentalisation des ressources et des possibilités, atteindra-t-elle notre intelligence et notre liberté pour que nous apprenions enfin le soin et la sauvegarde de la vie, sous toutes ses formes : l’eau, l’environnement, la terre, le climat ? Ecouter la clameur de la terre, c’est écouter la clameur des pauvres (cf. François « Laudato si » n°49).
La clameur des migrants, contraints d’abandonner les lieux de leur mémoire et de leurs racines communautaires, nous interroge et nous désinstalle. Elle nous rappelle à notre condition de « passager » sur la terre. Mais elle nous appelle à considérer l’autre comme une chance et non comme une menace. L’autre nous inquiète toujours quand nous ne nous rencontrons pas. Tout commence par le regard.
Le cri des victimes – et le cri de ceux qui se sont enfermés dans la violence – éclaire, de manière forte, les deux chemins qui sont toujours devant nous : le
« chemin de la vie » et le « chemin de la mort ».
Et il en appelle à notre liberté : « Choisis le chemin de la vie » (Livre du Deutéronome 30, 19). Prends l’initiative du soin de la vie : « Fais aux autres ce que tu voudrais qu’ils te fassent » (cf. Evangile selon Saint Matthieu 7, 12).
Bruno-Marie DUFFE,
Aumônier national DU CCFD SOLIDAIRE